Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mo's blog
5 mai 2006

Nezz (2/4)

Le lendemain matin, je reconduis Nezz à la gare avant de rejoindre mon travail. Son image plane sur la moindre de mes initiatives de la journée. L’empreinte sexuelle s’impose assez logiquement mais c’est cette fois l’ampleur qui me trouble. Ce week-end ne s’est pas déroulé de façon banale, il s’est assurément passé quelque chose. Je dois coucher sur papier ces idées, cet émoi. Le soir, j’en confie le brouillon à L. pour exorciser les craintes. D’abord celle d’une menace pour l’équilibre de notre couple. Ensuite celle de l’échec que j’estime inéluctable de cette relation naissante sous la forme actuelle. Il y aurait trop à perdre, pour lui ou pour nous. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Je me mets à douter de l'idée de le revoir. Le moment fut tellement magique qu'il pourrait être atténué en le prolongeant. Et si je ne gardais que cette image forte, cette sensation de plénitude en tête?

Le temps porte conseil, dit-on. Les interrogations se sont effacées au profit du doux souvenir du bien-être et de l’envie impatiente de le revoir. Je ressens un manque dans la distance qui sépare nos corps. Il viendra à nouveau dimanche prochain, j’en soupire de bonheur.

Je m’abandonne face à ce visage souriant, ce corps glabre, cette peau suave que je découperais volontiers pour me l’offrir en coussin. La douceur de son derme semble se superposer naturellement à la pureté de sa personnalité, attentionnée et avenante. Je prends en main cet agneau en porcelaine conscient de sa valeur inestimable et de sa fragilité.

Le sexe toujours aussi parfait prend une dimension encore supérieure. Enhardi par notre réceptivité, il déploie l’étendue de sa fougue juvénile, assimilant avec une fulgurance incroyable les leçons que notre petite expérience lui prodigue involontairement. Le plaisir accompagne ses coups de langue sensuels et ses mises en bouche énergiques.
Les corps une fois apaisés, il se plonge dans nos bras. Il m’apprend à redécouvrir la banalité d’une caresse, d’un baiser loin d’une quelconque stratégie.
Parvenir à éprouver une telle sensation après avoir partagé physiquement l’intimité de bon nombre de garçons mesure la spécificité de cette rencontre. Je ne peux nommer ces sentiments si étranges que convoque la compagnie de ce môme d’à peine 19 ans. Je perçois seulement ce baume de tendresse qui m’a envahi à son contact, celui que je ne peux obtenir de L., ou ne peut lui donner, engoncés dans nos jeux de pouvoir. Il comble un des manques de notre couple, il s'est immiscé sans le savoir dans une brèche en occupant une place pacificatrice. Ce complément soudain met en lumière en ce jour l'impression d'avoir déniché la pièce manquante d‘un puzzle.

La montée en vrille de mes sentiments subit une première gifle lorsqu’il se retourne longuement vers L. Mis à l’écart, abandonné à mon statut de spectateur jaloux, je ressens cette complicité comme la perte d’un amour qui se dilue chez l’un et chez l’autre. Autant cette relation à trois peut générer un adjuvant affectif (comme une deuxième flèche à l’arc), autant il produit en retour une impression d’abandon dans ces moments où, dans un mouvement de boomerang , les deux flèches viennent transpercer notre cœur bien exposé dans l’aventure. L’incertitude s’installe, la peur rôde, l’insécurité domine, d’autant plus fort que l’attraction est puissante. Ma fragilité trime dans ce jeu de massacre où saignent mes blessures passées, trop fraîchement refermées.

Durant la semaine qui suit, je me sens obligé de leur confier la douleur de cette scène. Je cherche à en minimiser la portée de peur que l’un d’entre nous en précipite les conclusions. J’ai trop besoin de cette attention, de cette chaleur des corps, de ces sentiments électriques mis en jeu qui me replongent dans le côté pur du contact humain et éjectent de mon esprit la souffrance, cet apparat de la mort qu’il convient de taire quand nos vies ne méritent pas encore de l’approcher. En présence de Nezz, je transperce la couche des bleus à l’âme pour rechercher l’azur éclatant de l’océan de mes émotions, dont l’assèchement récent a creusé des sillons difficilement cicatrisables.

Nezz est un peu notre Tadzio à nous, cette blondeur angélique qui fait tourner la tête de Dirk Bogarde dans le « Mort à Venise » de Visconti.
Dans le film, la mort rôde dans les rues de Venise et trouve un point de chute imparable sur cet homme dont le délire inassouvi n'a d'autre issue que sa disparition physique.
Pétris de certitude par l’accomplissement physique de notre fascination (qui nous distancie de facto des rêveries et fantasmes inachevés de notre équivalent filmique), aveuglés par la jeunesse et la vivacité puissante de nos sentiments, nous voulons ignorer qu'un tel destin, d’une nature plus symbolique, plane sur notre aventure.

div1971_04

Publicité
Commentaires
M
Dans un lit, chacun a "sa" place ou son sens. Tu n'étais pas du bon côté ou alors jaloux vraiment. Jeu de pouvoir, ça m'intéresse ... trop tard.
M
Agneau de porcelaine … un agneau se désaltérait dans le courant d’une onde pure … amphore d’eau pour une larme de rêve … mouton noir né depuis trop longtemps … à l’écoute des garçons et découvertes de leurs érotismes … une porte ouverte vers ailleurs … mots de maux.
H
C'est étrange cette notion de séduction, de chaque instant, avec quiconque, y compris avec celui avec lequel on devrait avoir trouvé un peu le calme et l'apaisement de ces jeux sur l'extériorité, l'apparence. Je me dis qu'on a bien de la chance de faire de la scène, moi et mon ami. Si "plaire" est une drogue...<br /> C'est frappant cette intrusion d'émotion via la spontanéité du garçon post-adolescent, qui vous touche aussi, qui vient attendrir la terre qui durcit, et malmène les coeurs.<br /> les voies d'accès à l'émotion sont parfois curieuses.
P
Mais tout ça finira bien, dès que se révèlera, quel que soit le chemin emprunté (vicinal ou de traverse ou même voie royale), l'impossibilité de la quête.
M
Ce jeu de pouvoir, c'est à la fois un stimulant dans une vie de couple mais dans certains domaines, cela se transforme en potentielle oppression, bien involontaire le plus souvent d'ailleurs.<br /> Je me demande d'ailleurs si le vieillissement jouera un rôle apaisant (j'en ai l'impression ces derniers temps) ou au contraire attisera les tensions liées à cette notion d'image extérieure, de capacité à plaire,...
Publicité
Archives
Publicité