Longtemps j'ai fui Facebook.
Je n'aimais pas ce
dévoilement public qui contrastait tant avec l'anonymat à la fois tranquille et
libéré de ce blog ou des sites de rencontre autorisant plus d'intimité et de
fantaisie. Cette participation consciente à une forme de big brother (pourtant
bien éloignée de celle en œuvre dans le THX 1138 de George Lucas) représentait
une intrusion gênante dans ma vie privée, le tout à portée de clic.
J'avais lu en outre que
beaucoup d'employeurs consultaient Facebook, notamment dans un but de
disqualifier un candidat dans la masse de postulants.
Toute manipulation de cet outil virtuel pourrait donc constituer une empreinte
indélébile dans le traçage de mes préférences, mes états d'âme ou mes
fréquentations.
Profitant d'un moment de
temps libre prolongé, je me suis néanmoins lancé dans l'aventure récemment. Je
peux facilement en identifier la raison. Au travers de ce blog, j'avais déjà
tenté de retisser ces derniers temps un lien entre le passé et le présent.
Longtemps durant, je m'étais établi une frontière autant géographique que
mentale entre mon adolescence familiale et mon déménagement à Bruxelles qui
s'est conjuguée avec la découverte de ma sexualité. Un passage obligé pour me
donner un nouvel élan, oublier les spectres du passé, les figures de style
(comportementales) imposées pour faire émerger un nouveau moi plus conforme à
ma nature profonde et à mes désirs. La mise à distance a produit ses effets et
c'est avec un soulagement certain que le fossé entre deux vies apparemment
irréconciliables s'est transformé en gouffre avec un abandon de mémoire
libérateur. Je pouvais me créer une nouvelle image sans que quelqu'un ne
s'étonne des transformations ou ne me juge.
Bien du temps s'est écoulé
depuis. Motivé par les réflexions de mon blog (pas toujours diffusées
d'ailleurs), j'ai pris contact il y a peu avec des deux à trois anciennes camarades,
à la fois pour mieux comprendre le passé et oser affirmer qui j'étais (la sexualité
est tout de même une identité, en tout cas elle l'est pleinement pour moi).
D'une certaine manière, je ne me sentais pas assez fort jusqu'alors pour
affirmer haut et fort cette vérité. Une forme de culpabilité très profondément
enfouie continue encore ça et là à me hanter et m'empêche de banaliser
totalement en terrain incertain ma vie affective.
Cette démarche de
réconciliation de son histoire personnelle relève d'une volonté assez commune
de relier les fils épars de son existence pour leur donner un semblant de
cohérence. Revoir ou discuter avec d'anciennes connaissances pour atomiser le
temps, rapprocher les différentes étapes de sa vie. Comme si de la confusion,
l'évaporation des souvenirs individuels devait surgir tôt ou tard, par la grâce
de leur partage, la clarté du sens des événements. En rompant la discontinuité
des périodes passées de notre vie, nous nous rassurons sur le futur et surtout
son terme. Si notre existence parvient à former un tout homogène, pourquoi n'en
serait-il pas ainsi aussi lors de notre passage vers un autre monde?
Je me suis donc lancé. J'ai
cherché dans l'annuaire les personnes qui avaient pris une place durant mon
enfance et adolescence. Avec quelques surprises pas toujours heureuses,
notamment des changements de physionomie parfois effrayants. J'ai retrouvé pas
mal de camarades d'école primaire (6 à 12 ans) et bizarrement très peu du
secondaire. Dernièrement, la personne dont l'évolution m'intriguait le plus
s'est manifestée. Syl, ce trouble ado inassouvi, n'a visiblement pas trop
changé physiquement. Marié, un enfant, il mène, dans le calme de la campagne
ardennaise, une vie apparemment bien rangée.
A bien des égards, ma
curiosité a été satisfaite au travers de ce site. Le profil de mes camarades
m'a révélé dans les grandes lignes leur évolution physique, leur parcours
professionnel, leur situation affective ou leurs loisirs. Mais je ne peux
dissimuler un sentiment global de déception. Certes, l'absence de contact
direct empêche la découverte de vérités plus cachées ou un échange sur notre
passé mais devant les photos qui s'étalent devant mes yeux, les quelques mots
qu'ils ont couchés sur la toile, j'ai l'impression que rien d'extraordinaire ne
finira par émerger. Une déception tirée de la banalité des existences, de la
faiblesse des liens passés et que rien ne semble pouvoir transfigurer. Je
pourrais tenter tout de même d'aller plus loin, en me rendant à ces
retrouvailles récemment évoquées par l'un d'entre eux. Mais je ne m'imagine pas
révéler à chacune de mes conversations que je vis avec un garçon en ignorant
les réactions (sans doute non verbales) de gens restés vivre dans leur
province. Je trouve peut-être là ce qui reste comme une limite dans
l'affirmation de moi.
Mais plus encore l'espoir
absent de raviver une flamme intime probante m'enjoint à me tenir à distance.
Je crains la vacuité résultant de cette rencontre, qui ouvrirait de manière
trop flagrante cette brèche de discontinuité dont l'apparente reconstitution
des séquences ne pourra plus cacher le leurre.