Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mo's blog
19 juin 2007

Au fil du rasoir

Une victoire politique inattendue, un avenir radieux qui s'annonce et puis bientôt plus rien. Un malaise, une embolie pulmonaire, un arrêt du cœur fatal. A 43 ans, trois jours après élections fédérales, le leader du parti libéral à Bruxelles décède.

Quelques jours plus tard, L. a prévu dans son calepin une visite aux "puces" et notamment dans ce magasin de tissus où nous nous sommes déjà approvisionnés pour nos rideaux par le passé. Un autre programme s'y substituera, sans quoi L. aurait pu faire lui-même la macabre découverte des corps des gérants sauvagement assassinés (avec l'idée frissonnante de tomber – qui sait ? - sur l'agresseur).
La vie ne tient décidément qu'à un fil.

Sombrer dans le sommeil sur cette dernière information me laissait présager de facto une nuit chahutée ce dimanche.
Dans la phase finale de mes rêveries nocturnes, j'ai endossé mon équipement sportif. Je me rends à la salle de basket où je vais reprendre la compétition, longtemps après l'avoir abandonnée. J'ai dû être mal informé sur les horaires, le match a déjà débuté. Sur le banc, je constate avec surprise le visage de l'entraîneur, la femme d'un ancien joueur avec qui j'entretenais d'excellentes relations depuis tout petit avant qu'elle ne devienne aussi ma prof dans le secondaire. Elle a connu des moments bien difficiles dans son existence, elle semble s'en être sortie et avoir acquis sur le tard des compétences sportives. J'aperçois mes parents non loin de là, occupés au bon déroulement administratif du match.

Je suis prêt à entrer au jeu. Une dose puissante d'adrénaline m’envahit, l'excitation de remonter sur le terrain ne cesse de croître. J'ai manifestement très envie de goûter à nouveau aux joies de ce sport et aux exploits personnels que je pourrais engranger.
L'entraîneur m'appelle pour remplacer un de mes coéquipiers mais je découvre, interloqué, que je ne dispose pas des chaussures adéquates aux pieds. Je m'affaire, mes parents soupirent devant mon amateurisme. Je finis par retrouver mes Nike dans mon sac. Je les enfile et tente de nouer les lacets au plus vite. Sur la chaise des remplaçants, mon tour va bientôt arriver, je vais pouvoir fouler à nouveau le parquet. Un sifflet retentit pour procéder au changement de joueurs  mais je ne parviens décidément pas à m'en sortir avec ces foutus cordons. Il est trop tard. Je me réveille.

Si la vie ne tient qu'à un fil disais-je plus haut, mon histoire se résume à une gestion de simples lacets. En interrompant l'ordre des choses, ont-ils condamné mon retour à la compétition ou m'ont-ils préservé d'un choix malheureux? A défaut d'un aboutissement lors du songe, le nœud (gordien) se doit d’être tranché au réveil.

Ces lacets qui se tortillent, insaisissables, autour de mes pieds ne constitueraient-ils pas le symbole de la césure inévitable, indispensable qui s'est produite il y a près de 10 ans de cela quant à mon sport favori et plus encore quant à ma vie quotidienne?
En traversant la salle de sport, j'avais été happé par sa luminosité étouffante. Le décor imposait sa structure lourde comme un ciel sombre s'abattant sur une ville à la tombée du jour. Cet environnement familier mais adverse ne m'accueillait pas, ce monde ne m'appartenait pas.

Derrière l'excitation du jeu, l'enjeu le plus fondamental a fini par se matérialiser dans ce double fil qui échappait à mon emprise, s'affalait le long des chaussures, désordonné, détendu, dénoué. Jamais noué pour être exact: dans le feu de l'action, je ne suis pas parvenu à relier les deux bouts avant de pouvoir sereinement évaluer la situation, éventuellement me raviser, démettre leur enchevêtrement croisé, fuir un terrain devenu moins propice à mon épanouissement. L'urgence de l'instant exigeait une issue claire face à un choix binaire. Une part de ma vie devait forcément m'échapper. Comme dix ans plus tôt.

Mon réveil soudain m'a abandonné sur cette image : mon corps, moins frêle qu'autrefois, assis sur cette chaise, en tenue sportive. Mon cœur qui s'emballe, non plus dans la précipitation des événements mais par l'émoi ressenti devant le souvenir de toutes ces joies rencontrées en maillots et shorts rouges et blancs, album définitivement refermé dans une malle au fonds d'un grenier intime.

Il y a 10 ans, j'entretenais l'espoir de la liberté, de l'équilibre et du bonheur. Une promesse personnelle accomplie depuis avec certains sacrifices et probablement sans avoir pu substituer à mon sport de nouveaux défis, de nouvelles sources de dépassement. Une part de bien-être finit toujours par se soustraire à notre existence. Il va bien falloir l’accepter un jour.

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité