Le Temps
Il
arrive parfois, au cours de l’existence, de se retrouver au milieu de
situations limites où l'équilibre ne semble tenir qu'à un fil. Le balancier
semble pouvoir pencher d'un côté comme de l'autre, sans ménagement (c'est
presque de circonstance à la veille d'un deuxième tour d'élections
présidentielles).
Le
meilleur semble encore pouvoir survenir quand inonde au fonds de soi la
confiance en son potentiel (quant à sa propre personne ou son travail), dans sa
capacité de séduction.
A ce titre, une petite anecdote. Après la soirée d'anniversaire organisée à la
maison lors de laquelle les garçons s'étaient déguisés en femmes, nous avons
décidé (en tout cas 8 d'entre nous) de nous rendre dans le célèbre bar à
travestis "chez maman", sans nous changer. Il est une chose
d'apparaître en femme dans un cercle privé (et certains - rares - ont
d'ailleurs refusé cette transformation), une autre est d'affronter le regard
des autres dans un lieu public. Il a fallu d'abord affronter la rue, (une
épreuve déjà difficile car inhabituelle, lors de laquelle j'ai ressenti la
crainte d'être abreuvé d'injures ou de faire l'objet d'une agression), puis
ensuite le regard des gens dans le bar. Ceux-ci avaient beau être gays à 95%,
je percevais parfois dans leurs yeux une forme d'incompréhension, voire de
mépris (qui contraste avec la douceur ou le flamme de ceux posés quand je suis
en mec). Dans ce climat insolite, nous ne nous sommes pas éternisés. Sur le
chemin du retour vers la voiture, alors que j'avais retiré ma perruque ne conservant
que le maquillage, un hétéro de base dans sa grosse voiture m'invita à
traverser à un passage pour piétons et après avoir bifurqué sur la gauche, se
retourna sur moi et m'adressa, par sa vitre ouverte, un coucou aguicheur que je
lui rendis. Totalement distrait, il buta sur une bordure du trottoir et évita
par une manœuvre
rapide un accident. Même si je me sens définitivement mieux en homme, il est
toujours intéressant de se confronter à une autre image de soi et de tirer une
certaine satisfaction par ce genre d'épisode ou en entendant les échos autour
de soi.
A côté
de ces moments gratifiants, l'esprit s'imprègne de considérations contraires.
Je brûlerais notamment mes dernière cartouches. Ce n’est d’ailleurs pas
totalement faux au niveau de la séduction où un virage s’amorce de manière
irréversible. Si L. et moi pouvons plaire aux jeunes (ceux qui suscitent le
plus souvent le désir en nous), nous sommes peu à peu perçus dans une catégorie
spécifique, qui n’est plus celle de jeunes plaisant à d’autres jeunes mais bien
de mecs plus âgés attirant les jeunes à la recherche de maturité. Cette
constatation devra logiquement influencer ma perception de la séduction à
l’avenir, m’obligeant à la transformer sous peine de plonger droit dans le mur.
Le temps s’impose donc progressivement tel que je l’ai toujours perçu, en
adversaire résolu, susceptible de m'entraîner dans une descente en enfer, tant
physiquement que professionnellement – domaine à la base de ma crise d’angoisse
récente.
Cette idée s'imprime si puissamment en moi en ce moment que j'ai l'impression
de pouvoir tomber aujourd’hui dans un gouffre comme il y a deux ans. Mon
anxiété ne s’est pas éteinte lors d'une paisible pause de quelques jours à
Prague. Au contraire, de nouveaux symptômes de sinistre mémoire l’ont
prolongée ensuite: céphalée de tension, hyperventilation et vertiges.
S'ils n'ont plus à cette heure la même intensité que celles rencontrées il y a
quelques jours, ils ne s'effacent cependant pas facilement, principalement
lorsque je me retrouve au travail (conjugaison de fatigue et de tension).
Cette fragilité physique me fait douter de ma résistance à toute épreuve, avec
la crainte de retomber dans un trou noir. J'ai ainsi tendance à renoncer à
certaines initiatives susceptibles de me placer dans une position
d'incertitude, à activer un frein dans le contact avec autrui et avec les
événements de la vie tout court en attendant d'avoir retrouvé le calme
intérieur.
Plonger
dans la vie est un défi qui ne va pas forcément de soi, qui réclame de
l'abnégation. Curieusement, en bravant mes doutes en allant dans ce bar en
femme quelques jours plus tôt, je n'avais plus de vertiges, je me sentais
insécurisé mais fort intérieurement par la démarche aboutie.
La solution réside probablement dans un retour à la confiance en moi-même, en
la force de mon physique (au sens médical du terme), à ma capacité à affronter
le stress, à surmonter les incertitudes et les embûches en les dépassant.
C'est
ce curieux équilibre entre l'investissement et le retrait, le challenge et le
recul que je dois aujourd'hui travailler, avec une détermination à aller de
l'avant mais avec la sagesse d'écouter ce que mon corps dicte encore
aujourd'hui.
Avec le temps, nous sommes toujours perdants.