Une caricature de la liberté d'expression?
Depuis le début de la semaine, la polémique ne cesse d'enfler: les caricatures de Mahomet secouent l'actualité avec de multiples retombées (touchant même un proche).
Sans doute faut-il encore le répéter une bonne fois pour en être quitte (là j'ai des doutes tout de même): oui, la liberté d'expression est inaliénable dans le cadre présent de dérision de la religion.
Si nos démocraties doivent condamner les propos qui incitent à la haine, à la violence, à la discrimination envers les minorités (c'est bel et bien un impératif pour qu'elles puissent continuer à exister), il ne faut pas pour autant tomber dans un excès qui conduit à la censure. D'autant plus quand il s'agit d'une question comme la religion qui relève, dans nos sociétés laïques, de la sphère purement privée. Rien n'empêche donc de la railler pour ceux qui ne partagent cette croyance.
Evidemment il s'agit toujours idéalement d'y mettre la manière et force est de reconnaître que la provocation de certains dessins (on pense forcément à Mahomet avec un turban surmonté d'une bombe) semblait tout-à-fait inutile car réductrice (dans un raccourci islam-terrorisme), ni drôle, ni subtile.
Il n'empêche, la question de fonds a changé de socle. Si certaines réactions musulmanes peuvent se comprendre quand elles ont trait à ce dessin particulier, les autres qui concernent la simple question de la représentation du prophète démontrent un dangereux glissement organisé par les organisations islamistes.
Si dans les sociétés arabes dont la vie politique et publique demeure influencée par la religion (mais aussi la censure et pas forcément des fondamentalistes), l'image du prophète et du Dieu ne peut ne pas être représentée, il paraît tout-à-fait inconcevable de demander à une société laïque d'observer cette même réserve.
Cette affaire mise en épingle et fomentée par les groupes islamistes (les dessins incriminés ont été publiés il y a plusieurs mois il faut le rappeler) démontre à souhait le radicalisme que souhaite instaurer une fraction intégriste dont le discours cherche à jouer sur la confusion et l'émotionnel pour prendre une place toujours plus importante au sein de la vie politique. Car là est bien le risque, le peuple musulman peu informé va y voir une offense à l'islam alors que le sujet dans sa globalité se situe bien ailleurs, en fait dans des conceptions différentes du système de philosophie politique.
Et malheureusement force est de constater qu'à nouveau les seules voix qui se font entendre au sein du monde musulman sont à nouveau celles des plus radicaux.
Même Dalil Boubakeur, le recteur modéré de la mosquée de Paris, s’est trompé en ne parvenant pas expliciter un pont de vue clair et différencié sur le sujet (oui à la liberté d'expression, non aux dessins réducteurs et inutilement polémistes). Il est tombé les pieds joints dans le piège lancé par les intégristes qui dictent de plus en plus l’orientation du discours de la communauté musulmane.
Dans ce contexte dichotomique, la seule réaction qui s'avère aujourd'hui possible face au concert de protestations teintée ça et là d'une violence verbale (à Gaza principalemennt) et économique (boycotts, tiens vont-ils s’étendre à tous les pays qui ont diffusé les dessins, bientôt il n’y aura plus d’importations dans ces pays…) est de marquer sa solidarité pour défendre la liberté d'expression, notamment en publiant les dessins incriminés.
Jamais le choc des civilisations cher à Huntington n'aura été aussi fortement ressenti et ce suite à des dessins pour l'essentiel médiocres et sans grande importance factuelle.
Et même les plus pacificateurs se voient obligés de prendre position dans un camp.
Si je me range volontiers dans une approche constructive et optimiste, tout ceci n'annonce tout de même rien de bon...