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10 novembre 2004

"Je pars" (une vie antérieure Part 3)

viavant3

Après cet épisode estival, est venu le temps de la rentrée scolaire. Une rentrée particulière, dans une nouvelle école, un changement radical que j’avais provoqué quelque peu malgré moi vers la fin du mois de juin précédent.
J’avais alors passé des brefs tests sportifs pour rejoindre le sport-études basket organisé par les dirigeants d’une équipe de division 1. Mon père m’avait suggéré cette possibilité de perfectionnement et l’idée m’avait paru intéressante. Je pouvais continuer à vivre chez mes parents et jouer dans mon club tout en m’entraînant tous les soirs avec des entraîneurs et joueurs de qualité. Comme je n’avais jusqu’alors connu que des réussites sur le plan sportif et scolaire, je reçus comme un coup de massue ma non-sélection. J'avais été la victime, à l'instar de Michaël (qui avait lui aussi tenté sa chance), d’intérêts supérieurs: les dirigeants du sport-études s’étaient montrés réticents à participer à la formation d’un joueur qui n’appartenait pas au club et avait peu de chance d’en changer.
J’aurais pu en rester là mais mon orgueil avait été blessé. Je ne pouvais admettre ce verdict quand bien même des raisons subjectives avaient gouverné cette décision. Mes réussites passées m’avaient mis une pression tellement excessive sur les épaules que je ne pouvais assumer l’idée d’un échec - notamment vis-à-vis de mes coéquipiers dont certains manifestaient çà et là quelques signes de jalousie (qui se confirmeront plus officiellement, peu de temps plus tard). Il me fallait trouver une porte de sortie honorable et assez rapidement elle se profila au travers du (quasi) seul autre sport-étude basket en région francophone à l’époque, qui m’accueillit les bras ouverts. Comme dans toute démarche orgueilleuse, je devais quelque part en payer le prix. En l’occurrence, il se matérialisa dans l’obligation de rejoindre une école située à plus de 60 km de chez moi avec, comme corollaire, une vie en internat.
Pour la première fois, je devais quitter durablement le cocon familial dans lequel je me réfugiais chaque soir jusqu’à alors pour rejoindre une nouvelle vie faite de cours le jour, d'entraînements de basket les soirs du lundi au jeudi pendant 1h30 avant de rejoindre le bungalow et une petite chambre froide pour y passer la nuit.
Cette situation nouvelle se révéla difficile à vivre. Jusqu’alors, je pouvais me désigner comme un solitaire mais toujours au sein d'un environnement affectif familial. En internat, avec l'effacement de la couche de protection autour de moi, j’ai découvert la solitude, j’ai souffert d’un manque affectif évident. La plupart des autres pensionnaires avaient été placés par leur entourage pour raisons disciplinaires ou familiales (je me rappelle de ce garçon élevé par ses grand-parents qui n'arrêtait pas de jeter l'anathème sur sa mère, cette « salope » qui l'avait abandonné, et qui au retour du nouvel an, revint émerveillé de l’avoir retrouvée). La pension constituait souvent une punition pour tous ces jeunes garçons. En écoutant mon seul orgueil, je m'étais puni moi-même.

Sportivement parlant, l'apprentissage ne s’avéra guère plus évident. J'étais le plus jeune, le plus petit et le plus frêle de tous les participants aux entraînements. Je devais me frotter (au sens figuré du terme, beaucoup plus rugueux) à des castards de 18 ans. Tâche pour le moins difficile quand on n’a pas encore entamé sa puberté. Cette situation m’embarrassait particulièrement au moment des douches. Certains mecs s’y exhibaient fièrement. Je les scrutais avec une certaine envie, celle de devenir moi aussi fier de mon corps. La sensation de malaise vis-à-vis de mon retard physiologique prédominait sur toute idée de désir.

C’est finalement en classe que mon intégration me parut la plus facile. Mon statut de « premier de classe », vis-à-vis duquel il existe toujours un certain respect, fut un allié précieux pour me rapprocher des autres bons élèves de la classe - qui ne m'ont jamais témoigné de jalousie. Parmi ceux-ci figurait Gérald avec qui je m’entendais bien (malgré qu’il ait préféré le foot au basket). Gérald avait compris que pour devenir amis, il fallait passer un cap, partager des moments communs. Au cours d’un voyage en car vers Paris, il me proposa de passer deux jours chez lui lors du congé qui suivait. Cette proposition m'honora - vu la distance que je me forçais à mettre dans toute relation interpersonnelle. Mais très vite, la peur m'envahit : celle de me retrouver à nouveau dans un milieu inconnu et donc a priori hostile, la crainte de m’y sentir mal à l'aise et d’ainsi donner l'impression que je ne valais pas la peine d'être invité. Le manque de confiance en moi constituait un obstacle insurmontable pour créer des relations d’amitié. J’évitais les relations trop proches de peur qu’on ne remarque ma vacuité. La hantise d'un rejet s’avérait toujours plus forte que tout désir de contact plus intime.
Paniqué, je ne trouvai rien d'autre pour que Gérald ne m’invite pas que de me moquer de lui tout au long du trajet. La démarche porta ses fruits : il se mit à pleurer et il n'aborda plus jamais le sujet par la suite.

Cette année demeura à mes yeux la plus marquante, la plus déroutante de mon adolescence. J'y vécus d’un côté de grands moments de solitude et de l’autre quelques fulgurances de bonheur dans cette vie de communauté. Comme si l'imprévu pouvait surgir à tout moment et ainsi réserver des découvertes intéressantes, enrichissantes. Le défi auquel j'étais confronté au sein de cet internat, dans cette confrontation directe avec un monde sans protection, consistait à accroître ma résistance vis-à-vis de l’environnement extérieur souvent hostile à mes yeux et m'ouvrir aux opportunités de découverte du monde.
Ce départ loin de chez moi aurait pu constituer un virage et un nouveau départ dans ma vie. Il n’a finalement représenté qu’une parenthèse de ma vie. Très tôt dans l'année, je m'étais résolu à retourner vivre chez mes parents, au grand dam de la direction du sport-études, toute heureuse de trouver à travers moi l’image d’une possible réussite dans la combinaison sport et études (ce qui était très rare, voire quasi inexistant).
Le poids de la solitude, de l'insécurité affective s’était avéré trop lourd à porter pour moi. Par ailleurs, je pris conscience pour la première fois de ma vie que ma motivation pour le basket n'était pas illimitée: s'entraîner tous les soirs avaient fini par me lasser, je n'y prenais plus autant de plaisir. Je n'étais ni cet acharné prêt à tout sacrifier pour le basket, ni ce battant capable de tout braver pour réussir. Sur le plan sportif, il s'agissait là bien d'un tournant.

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