Une vie antérieure part 17 : "comme un interdit"
Me voici parvenu en avant-dernière année d’économie.
Désormais, les étudiants se connaissent tous, sans pour autant verser dans une
amitié systématique, bien au contraire. Même si de manière un peu surprenante
je ne ressens pas trop un sentiment carriériste chez les autres, je ne parviens
pas à déceler une sensibilité qui m’en rapproche. J’imagine que des études
artistiques ou en sciences sociales m’auraient davantage mis en contact avec
des personnalités susceptibles de rejoindre mes envies d’évasion, dans des
discussions moins en relation avec l’objet de nos études.
Je parviens néanmoins à approfondir la connaissance de
Loranne rencontrée fin de l’année précédente et manifestement désireuse
d’entrer en relation plus étroite avec moi. Elle m’invite chez elle, je lui
fais partager mes nouveaux goûts discographiques.
Par l’entremise de cette singularité musicale, j’ai l’impression de me forger enfin
une personnalité propre. Elle ne s’intègre pas dans un modèle spécifique bien
défini mais se développe plutôt dans une volonté de différenciation vis-à-vis
des autres. Cette réorientation manque pour le moins de souplesse. Je suis
convaincu des préférences, des choix que je pose avec une certaine raideur qui
n’autorise guère le partage d’émotions avec d’autres. Je me sens toujours assez
seul.
La fin d’année scolaire approche sans grand stress,
les examens ne sont plus que des formalités à ce stade des études. A l’issue de
la session, je réponds à l’invitation de Loranne de passer un week-end à la mer
en compagnie de deux de ses amis, une fille qui partage nos études et un garçon
qui m’est inconnu. Les heures qui défilent lentement durant le séjour me
plongent dans un sentiment bizarre d’avoir été pris au piège. Je réalise
peu à peu que ce week-end organisé a pour but de favoriser un double rapprochement
romantique, moi avec Loranne et les deux autres ensemble. Je fais de mon mieux
pour éviter ce dont je n’ai pas envie tout en veillant à ne blesser personne. Il
n’empêche, je rumine, je ressasse cet échec. En août, je confie mes doutes à
Sophie revenue quelque jours d’Angleterre. Suis-je capable d’aimer, de
trouver quelqu’un avec qui le partager? Les questions ne portent encore que sur
cette impossibilité à trouver un complément d’âme. Certaines filles pourraient
rythmer les battements de mon cœur mais j’ai l’impression de ne pas leur plaire.
Je voudrais déclencher un émoi spontané chez l’une ou l’autre jolie fille mais
je ne semble faire fantasmer que Sylvia, un poids lourd dont le seul attrait réside
dans le port d’un prénom symbole de l’érotisme féminin. Une bien maigre
consolation…
Je ne me le concède pas encore mais mon désir demeure presque exclusivement orienté vers les garçons. Je ressens une vibrante émotion quand je revois Syl venu chercher son frère qui joue dans la même équipe que moi désormais. De retour à la maison, je me branle en pensant à lui, à ce qui nous avait uni, à ce rougissement qu’il a encore témoigné plus tôt dans la journée. L’expression de mes envies devient plus intense, plus sexuelle que romantique, empreinte d’un début de frustration.
Le trouble envers les garçons se densifie lorsque je
tombe sur une nuit spéciale de Canal + consacrée à l’univers du porno. Un reportage
est consacré au porno gay, diffusant des extraits de films. Je suis marqué par
l’image de ce jeune mec qui pourrait être moi et qui se fait sodomiser par un
mec plus musclé (je retrouverai bien plus tard la trace video de ce Gamin de Paris). Cette représentation du
sexe entre hommes, une première pour mes yeux vierges, suscite une excitation bien réelle mais me
met également mal à l’aise. Cette vision du mec passif à laquelle je suis
désormais obligé de m’identifier me dérange, elle ne s’accorde pas avec mon
état d’esprit. Elle semble remettre en cause ma virilité, du moins celle
véhiculée ardemment par le milieu sportif que je fréquente. Cette scène me
hante de plus en plus lors des jours suivants et finit par révéler à mes yeux une
forme de violence alors qu’elle n’en recèle pourtant aucune. Je ne peux dès
lors me convaincre de pouvoir aimer cela,
reportant à plus tard de nécessaires conclusions.
Mon esprit reste plongé dans une configuration de vie future bien déterminée:
trouver une copine, me marier et avoir des enfants. Le doute a cependant
commencé à s’installer. Si je ne parviens pas à m’exciter sur une fille, si je
ne la désire pas, comment vais-je pouvoir régulièrement lui faire l’amour ?