L'entre-deux
C'est une évidence, je
raconte assez peu ma vie en ce moment. Les événements impulsent l'écriture et peu
de choses m'ont incité à m'étendre sur ce blog. Je me suis installé ces derniers
mois dans une forme de sagesse, à la fois subie et désirée.
J'expérimente probablement,
à l'instar de mes amis, les questionnements liés à cette jeunesse qui nous
abandonne sans pour autant nous entraîner définitivement vers l'âge mûr. Je me
pose sur le bas côté, en équilibre instable entre ces deux pôles. A l'évidence,
je ne peux plus prétendre appartenir à cette jeunesse flamboyante, innocente, insolente
à laquelle tout peut être pardonné. Physiquement, je ne peux plus apparaître ce
jeune premier, cette figure angélique où le blond des cheveux traverse le poupon
des joues et s'épouse à l'éclat du teint. Mentalement, je mesure le fossé
qui me sépare désormais de cette génération aux illusions romanesques et à l’esprit
fêtard, vecteurs du réenchantement du monde. En somme, je vieillis. Plus
encore, je deviens blasé à certains égards. Peut-être ne s'agit-il que d'un
passage avant de retrouver (qui sait?) un regain de jeunesse. Après tout, nous
sommes en automne et je m'assimile facilement au climat ambiant.
Au départ, il y a eu cette
réaction devant l'écueil de mon opération dentaire. Angoissé face aux
désagréments potentiels, je me suis imposé un recul vis-à-vis de cette vie trépidante
axée sur la séduction permanente (et ses récurrentes remises en question
qu'elle m'imposait) ainsi que sur l'urgence de profiter du moindre événement,
boosté par le décompte inéluctable des occasions subsistant au sein de cet
univers.
J'ai pris conscience qu'en 10 ans, j'avais tout de même pour le moins rattrapé
cette adolescence que je n'avais jamais consommée. Plus que n'importe quel
jeune n'a pu sans doute le faire durant la période normalement appropriée. Je
ne peux encore m'affirmer guéri de cette idée, mais j'ai accueilli cette pause
avec soulagement. Et quand le danger dentaire a semblé s'éloigner, je n'ai pas
vraiment cherché à mettre fin à la parenthèse amorcée.
La transition vers cette phase censée m'assurer une meilleure tranquillité ne
s'est pas déroulée sans mal pour autant. J'ai abandonné L. au trip que nous
partagions et le clash entre nos deux conceptions s'est cruellement fait
ressentir à quelques reprises. Le sentiment amoureux en a chassé les pièges,
jusque maintenant du moins. Un nouvel équilibre devra sans doute s'établir dans
le temps.
Tout cela ne signifie pas
que je reste enfermé chez moi, que j'adopte une posture solitaire ou purement
bourgeoise. La sortie demeure présente,
sans doute un peu moins qu'avant, moins intensément aussi. L'expérience m'amène
aussi à privilégier plus que jamais la mesure.
Il y a plus d’un mois de cela, l'envie m'est venue de profiter d'un samedi soir
dans l'un ou l'autre bar. Nous y avons passé un excellent moment et je me suis
senti heureux de percevoir au travers de certains regards que je pouvais
encore plaire. Une touche minime qui me suffisait en soi. Lorsqu'un jeune
garçon aux traits fins magnifiques s'est installé à mes côtés autour de la
petite piste de danse, ce n'est pas mon instinct sexuel qui s'est réveillé (je
suis un brin démotivé sur ce plan) mais bien l'attraction du jeu de drague. Je
n'ai pas hésité à le frôler, j'ai observé son attitude, sans le moindre
mouvement de recul. J'ai étendu mon bras droit le long du corps. Son bras
gauche en a fait de même. Cette proximité ne pouvait être anodine. Mon
auriculaire a saisi le sien. Nous avons brièvement dansé ensemble. Je l'ai
dirigé vers L. pour qu'il participe au jeu avant de l'inviter à rejoindre les
dark-rooms aux étages. Toujours sans grande envie mais je me sentais redevable
vis-à-vis de L. de cette quasi-abstinence imposée depuis quelques temps et qui
avait créé quelques tensions entre nous. Je ne pourrais pas nier non plus que
la concrétisation sexuelle ne semblait que le moyen de rendre réel, palpable ce
rapprochement (dans le miroir d'une vie, on ne se souvient que du flirt
totalement accompli). L'endroit portait bien son nom, sombre. Trop à mon goût.
La chair fraîche a attiré des visiteurs non désirables. J'ai observé leur
profil dans le noir, animé d'un sentiment de répulsion. Distrait par ces
présences inopportunes, je bandais mal. J'ai fini péniblement par jouir. Du
sperme étranger à nous trois s'est retrouvé sur mon t-shirt. Je l'ai enlevé
d'un mouvement rapide de la main. J'ai constaté ensuite que mon pouce
présentait une blessure. J'ai pensé au risque même infime de transmission du
virus et cette idée n'a pu disparaître de la tête. Mon angoisse s'est catalysée
dans le sentiment du sexe sale (produit par l'endroit, les gens aux alentours
et le bon vieux puritanisme judéo-chrétien). Les maladies qui se sont succédé après
cette période m’ont paru refléter la justification de mes craintes.
J'avais renoncé au sauna, à certaines pratiques en dark-room; voilà, à présent,
le principe même du sexe dans ces endroits qui bat de l'aile. Trop de questions,
trop d'inquiétude pour si peu de plaisir.
L’esprit tend à reproduire
certains schémas de pensée. Sur d’autres sujets, je me suis mis à envisager le
pire dès qu’une brèche s’est installée dans mon cerveau (comme lors de l’envoi
par fax d’un document confidentiel vers un mauvais numéro). Manifestement, je
cède trop souvent à un phénomène que l’on pourrait caractériser de phobique. Ma
psy m’a suggéré la prise d’un antidépresseur pour les combattre. J’ai bien
tenté durant deux jours mais les effets secondaires m’ont fait reculer. Nausées,
état vaseux, voire euphorique, dangereux en somme - sans encore connaître les
troubles sexuels que l’on annonce si fréquents. On ne soigne pas un mal par un
autre mal. Au fonds (même durant ces périodes où mes phobies se déploient dans
les méandres neuronaux), je ne me sens pas assez mal pour me sentir obligé de
me faire aider chimiquement. Sans préjuger de l’effet à plus long terme de ma
décision, je n’ai pas encore eu à regretter d’avoir cru en ma capacité de réagir seul,
spontanément.
Quand les idées noires s’évacuent,
la chasse aux plaisirs - programme existentiel de base - peut reprendre ses
pleins droits. Et me confronte à nouveau avec les hésitations d’un mode de vie
modifié.
Toute cette période
précédant Noël m’évoque une conception très artificielle de vie, remplie de
cadeaux, de guirlandes et de mirages décoratifs. Je ne pourrai assurément pas
me fondre dans une vie bourgeoise que nos salaires peuvent aujourd’hui nous
permettre avec notre expérience professionnelle et l’absence d’enfants à élever
(et dont je profite certes à différents niveaux : plaisirs de la table ou
vestimentaires en tête). J’ai besoin de découvrir la lumière ailleurs, ne
serait-ce qu’une lueur. Qui peine parfois à se manifester. Trouver le champ dans
lequel me réinvestir exige de nouveaux questionnements, de nouvelles recherches et le recyclage peut-être
de vieilles recettes. Je reste par exemple disponible pour une relation
sexuelle ouverte à un tiers, dans des circonstances toutefois bien définies. Le
confort rassurant d'une chambre, la tendresse dans les gestes, la confiance
dans les yeux et dans les actes, le plaisir de partager notre lit une nuit malgré
la chaleur suffocante d'une telle disposition. Et aussi de manière
sous-jacente, la curiosité d’une expérience humaine totale. C’est sans doute ce
dernier argument qui m’a guidé à accepter un rendez-vous qui ne préfigurait pas
la réalisation des conditions idéales que je m’étais fixées. Mais c’est déjà une
autre histoire.