Billet octobre
Le
retentissement de l’affaire Cantat ne semble pas s’essouffler avec le temps. La
blogosphère a réagi de toute part à l'occasion de la libération conditionnelle
du chanteur la semaine passée, souvent d’ailleurs de manière hostile.
Il est pourtant apparu clairement que Bertrand Cantat avait été traité comme un
détenu normal, remplissant les critères pour bénéficier de cette sortie
anticipée. Il aurait été injuste que la médiatisation extrême de cette histoire
influence un juge au nom de l'exemple de la lutte contre la violence faite aux
femmes.
Quant à ceux qui prétendent qu'il n'aurait pas dû faire appel à cette requête,
j'imagine qu'ils conçoivent le masochisme comme une pratique éthique idéale
pour expier leurs fautes. Oublient-ils par ailleurs que rien ne viendra sans
doute enlever à B. Cantat le poids de la responsabilité d'avoir ôté la vie de
quelqu'un (a fortiori la personne qu'on aime)?
La
réflexion la plus intéressante à mon sens porte sur l'avenir de B. Cantat. Je
ne vais pas spéculer sur la manière précise dont il réintégrera (peut-être) la
vie active et publique mais je me demande dans quelle mesure il pourra
redevenir un artiste exposant sa vision du monde aux autres et incarner cette
balise comme par le passé en tant que leader charismatique d'un des plus grands
groupes de rock français. Pourra-t-il encore, aux yeux de la société actuelle,
légitimement représenter une opinion publique, endosser le rôle de figure
morale après avoir fauté ? Le laissera-t-on exprimer autre chose que des
considérations d'ordre purement psychologique, intimiste et porter un avis sur
le monde et tous les sujets "politiques" qui tournent autour? Un
homme condamné perd-il automatiquement tout droit d'affirmer une opinion
morale, voire de servir de guide sur toute une série de sujets? En lui déniant
ce droit, ne lui ferait-on pas encourir une double peine?
Dans un
domaine il est vrai bien spécifique (la gestion officielle du bien commun), une
même question se pose dans le champ de l'éthique politique: après une
condamnation, un politicien peut-il encore se présenter devant des électeurs?
Au delà de la peine judiciaire qui détermine la durée d’une éventuelle
interdiction, certains partisans d'une éthique irréprochable en politique
estiment que cette privation devrait valoir à vie tandis que d'autres
différencient leur appréciation en fonction des délits commis (une affaire
purement privée ne créerait ainsi pas une incapacité morale à pouvoir conduire
une action publique).
Au
fonds, dans l’affaire Cantat, la véritable interrogation tapie derrière tout ce
débat revient peut-être à ceci : accepte-t-on aujourd'hui la faillibilité de
l'être humain?
Dans
toutes les strates de la société semble se renforcer l'intransigeance quant à
la capacité de l'homme à affronter son existence. L'individualisme ambiant
s'accompagne d'un déficit d'empathie manifeste. Certes, la population est
encore capable d’envolées altruistes ponctuelles à l'occasion de grandes
manifestations, principalement quand l'homme se retrouve démuni et sans prise
face à des éléments externes qui lui sont imposés : la maladie, l'handicap ou
plus généralement la position de victime (de plus en plus médiatisée et placée
au centre du débat public, jusqu'à voir les usurpations se multiplier pour
bénéficier de l'attention offerte à celle-ci). Dans bon nombre d'autres
matières, rien n'est pardonné à l'être humain. S'il ne trouve pas de travail,
c'est qu'il le veut bien (peu importe les conditions sociales ou psychologiques
dans lesquelles l'individu peut se trouver). S'il commet un délit, la punition
doit être maximale (renforcement du volet répression de la criminalité avec
l'instauration de peines planchers et incompressibles,...). La plupart des pays
n’autorise toujours pas à un individu de choisir l'heure de sa mort malgré la souffrance
d'une maladie incurable.
Plus
que jamais aujourd'hui, on attend de l'être humain qu'il soit vertueux,
infaillible dans l'accomplissement de sa vie professionnelle et privée. La
frontière entre le bourreau et la victime se densifie tous les jours davantage
alors que nous traversons en permanence ces deux états (un peu comme dans le
jeu de l'affaire « clearstream » en France).
Pour
ma part, sans chercher à les excuser, je pense qu'il faut en permanence établir
une différenciation des actes commis - comme la justice tend d'ailleurs à le
faire. Un comportement malsain adopté régulièrement et de manière pleinement
consciente me paraît plus grave qu'une réaction impulsive aussi atroce
soit-elle. L'emportement exceptionnel, qui peut atteindre un être humain dans
des conditions spécifiques (notamment un déphasage émotionnel important), ne
révèle pas de facto la nature profonde d'un individu.
Je ne sais pas quel chemin empruntera Bertrand Cantat à l'avenir mais je suis
d'ores et déjà curieux de l'espace de parole qui lui sera laissé.