Bye bye Belgium?
Samedi dernier. Nous rejoignons le
stade Roi Baudouin (anciennement appelé Heysel, de sinistre mémoire). La
Belgique y joue un match international de football contre la Finlande. Elle est
déjà quasiment éliminée de ce tournoi qualificatif pour l'Euro au contraire des
nordiques. Les prestations des Diables Rouges sont désastreuses depuis quelques
années et le public s'y désintéresse. Le stade n'est rempli qu'à moitié et
l’ambiance est essentiellement assurée par les supporters adverses arborant
fièrement leurs couleurs bleues et blanches. Sur le chemin menant vers le
stade, je suis surpris par l’absence de noir, jaune et rouge sur vêtement,
écharpe ou casquette. Peut-être une personne sur 10 affiche un article aux
couleurs nationales. En Hollande, au minimum l'inverse serait de mise.
Nantis d'une invitation, nous
prenons place - sans grande motivation - dans la tribune réservée au sponsor et
composée essentiellement de néerlandophones. Au moment des hymnes, j’observe,
ébahi, le peu de considération de mes voisins à notre hymne. On continue à
plaisanter, on se lève à peine. A l'heure où les difficultés dans la formation
du gouvernement fédéral persistent, je ressens avec une acuité particulière le
sentiment d'une déliquescence de la Belgique. L’ambiance terne (durant tout le
match) me donne même l’impression d’un enterrement sans fioriture de notre
pays. Je ne sais pas si c'est la tristesse qui m’envahit ou l'ennui devant
cette pantalonnade (qui a ranimé l’envie de me rendre au stade de mon équipe
favorite pour profiter de l'ambiance ô combien plus explosive offerte par nos
supporters), je regrette presque ma présence devant ce pénible sentiment de fin
de parcours.
Le constat semblait implacable ce
samedi soir et d'autres éléments viennent confirmer cette tendance. Près de la
moitié des électeurs néerlandophones se montrent favorables à la séparation du
pays selon un sondage. Yves Leterme, l'homme fort du premier parti
néerlandophone (le parti chrétien, CD&V, 30%), méprise les francophones en
les traitant d'incapables intellectuellement à apprendre le néerlandais ou en
entonnant la marseillaise quand on lui demande de fredonner la brabançonne. Ca
et là, des traces de détérioration de l'ambiance entre francophones et
néerlandophones dans les entreprises bruxelloises se manifestent.
La fin semble proche (c'est l'hypothèse qui prédomine d'ailleurs dans la presse
étrangère) et pourtant….
L'électeur flamand est conditionné
depuis déjà des années par les médias et politiques néerlandophones. Comment ne
pas manifester de déférence vis-à-vis de cette Wallonie "paresseuse,
dispendieuse, mal gérée, corrompue"? L'exaltation du sentiment
nationaliste se double d'un individualisme forcené visant à rompre la
solidarité avec des francophones profiteurs (au mépris de l'histoire passée où
le contraire fut de mise). En démontant un certain nombre de faux-semblants
(sans pour autant nier la réalité des transferts financiers du Nord vers le
Sud), nul doute qu'une partie de la population flamande relativiserait ce point
de vue et il n'est jamais trop tard pour rectifier cette vision médiatique. Le
mal est cependant désormais bien profond.
La
réaction francophone est quant à elle contrastée. Il existe un mouvement
autonomiste francophone ou wallon mais qui reste fort marginal. On observe l’affirmation
d’un certain belgicanisme qui se manifeste par les drapeaux arborés aux
fenêtres de maisons à Bruxelles ou en Wallonie. Mais il se développe également
une position intermédiaire dominée par un ras-le-bol devant la suffisance
affichée par les politiciens flamands à l'égard des francophones. L'idée d'une
séparation du pays, inenvisageable jusqu'il y a peu, prend forme au sein de
cette frange de population : si la Flandre veut son indépendance, qu'elle la
prenne et en paie le prix fort, notamment en reprenant la dette publique et en
lâchant la très francophone (à 85%) Bruxelles (aussi la capitale de la Flandre,
qui en est co-gestionnaire).
Je
partage ce point de vue. Je
reste belge et souhaite la poursuite d’une aventure commune. Mais si demain la cohabitation
devient impossible et que l'arrogance flamande ne cesse de s’amplifier à
l’avenir, je suis partisan de ne plus rien lâcher sur le plan institutionnel
(enjeu principal des négociations du gouvernement) et laisser la Flandre
négocier de lourdes concessions à ses velléités séparatistes. Si l'impasse
devait se poursuivre, les partis francophones seraient bien inspirés de revoir
leur positionnement et d'inviter les flamands à exposer clairement la vision de
leur avenir aux yeux de tous.
Car au fonds, le destin belge leur
appartient désormais. La Flandre devrait enfin poser le débat de la concession inévitable
derrière la volonté d'indépendance. Ils n’obtiendront pas le beurre et l'argent
du beurre simplement parce qu’ils sont majoritaires dans le pays (60% de la
population). Il faudra que les partis néerlandophones séparatistes ou
confédéralistes (ce qui, à mon sens, revient à la même chose : si la solidarité
est rompue sur le plan fédéral, il n'y a pas de raison de laisser le pays en
l'état), devenus majoritaires lors des dernières élections, révèlent clairement
à leurs électeurs le prix à payer. Il faudra en outre qu'ils assument les
problèmes qu'ils rencontreront à l'avenir une fois que le bouc-émissaire aura
été écarté (ces francophones qui empêchent le développement de cette région
flamande riche) et l'exemple récent de la démission d'une importante ministre à
la région flamande pour favoritisme et mauvaise gestion devrait déjà
interpeller. Mais c'est une autre question qui ne nous regarderait plus. La
Flandre doit dans l’immédiat poser un choix décisif : payer le prix fort
pour son indépendance ou en revenir à un compromis acceptable pour toutes les
communautés.
Ps: Une anecdote pour terminer, présageant peut-être d'un lendemain apaisé. Nous avons reçu nos places au foot d’un couple de gays néerlandophones faisant partie de l’entreprise sponsorisant l’équipe nationale et dont l’un est membre actif du parti chrétien flamand de Y. Leterme, dont il se sent proche. Du dialogue, des échanges, du transfert de type économique entre Nord et Sud pour le bonheur de tous.