Une nuit d'octobre bruxellois
Ce
samedi, j'effectue ma première sortie gay nocturne depuis plus d'un mois. L'été
indien a ses vertus: nous sommes mi-octobre et la température clémente autorise
les couche-tard à se réunir sans crainte à l'extérieur des bars et éviter la
chaleur suffocante des espaces intérieurs compressés.
L'arrivée à proximité du lieu sur lequel nous avons jeté notre dévolu pour
entamer la soirée constitue un moment fondamental. La réaction du public déjà
présent est censé refléter l'attrait que nous pouvons encore susciter. Les
regards qui se portent sur nous (et finalement peu importe qu'ils traduisent du
désir) viennent confirmer notre existence, ne serait-ce que momentanée, au sein
de leur univers personnel.
Autrefois, lors de mes premiers pas dans le milieu, ces yeux rivés sur moi me
gênaient terriblement. Je ne pouvais soutenir ces regards et me sentais épié
lors du moindre de mes déplacements, paralysé par ces faisceaux invisibles
convergeant vers ma frêle personne.
Si la sortie ne s'assimilait qu'à une démarche de réassurance, je me baladerais
de bar en bar rien que pour observer la réaction d'autrui. Mes inquiétudes
narcissiques présentent bien heureusement certaines limites.
Sur le
trottoir, L. et moi entretenons une conversation en compagnie de deux amis.
Avec le premier, D., aperçu pour la première fois en ce même lieu il y a un peu
plus d'un an, nous n'avons pas cherché à cumuler les statuts (d'ex-amant par
exemple) bien qu'il soit indéniablement mignon. Sa sagesse apparente n'a
peut-être pas réveillé d'instinct plus animal en nous et c'est finalement très
bien ainsi. Le second, F., ami de longue date de L., est un étrange
boute-en-train tout en dualité. Aspirant snob depuis son plus jeune âge, il
rêve du faste de la grande bourgeoisie friquée tout en se fondant sans le
moindre problème dans les milieux gay plus populaires où il déniche avec une rare
constance le partenaire sexuel de son choix. Le récit de ses différentes
aventures se transforme en sketch digne d'un théâtre de boulevard. Je ne peux
m'empêcher de repenser à l'évocation de ce lit cassé par la fougue d'un amant
polonais réveillant F. à plusieurs reprises au cours de la nuit et lui
susurrant d'un accent germanique romantique les mots essentiels "gel"
et "capote".
Autour
de nous, je reconnais ça et là des profils internet jusqu'alors
seulement virtuels. Rien de bien attirant ne vient troubler mon attention. Il y
a bien ce jeune mec toujours aussi mignon mais dont un chat avait dévoilé trop
de paraître et de perversité dans le jeu, calmant illico mes ardeurs.
Si
l'envie sexuelle n'a en soi pas disparu, le désir semble avoir pris une pause.
Derrière la simplicité apparente d'un acte sexuel se cache pour moi une
montagne d'enjeux à relever. A côté de la peur de maladie qui ne disparaît jamais
vraiment, d’autres craintes viennent bousculer ma fragile sérénité : celle
de ne pas plaire dans un premier temps, de plaire moins que L. ensuite et enfin
de ne pas assurer l'attente sexuelle du partenaire. Je concède qu'il faut une
fameuse dose de confiance en soi et de désinvolture pour s'embarquer dans cette
aventure révélant à son climax la puissance absolue du partage des corps et des
émotions. L'un ne va pas sans l'autre, contre-pied exigeant face à la magie
d'un instant. La réussite d'un tour impose une discipline et une préparation
sans faille, d'une durée inversement proportionnelle à la rapidité avec laquelle se perd
cette maîtrise.
Au bout
d'une heure et demi, nous décidons de changer de lieu et de nous rendre vers un
autre bar. Le monde nous y a cependant précédé et nous oblige à changer nos
plans. F. nous soumet une autre idée : un bar étiqueté cuir mais avant
tout un bar à dark-rooms. Bien qu'il s'agisse d'une institution bruxelloise,
jamais encore je ne m'y étais rendu en 10 ans. Depuis mes vacances aux Canaries,
l'idée de fréquenter un tel lieu ne me rebute plus. Je n'éprouve d'ailleurs
aucune gêne en débarquant dans cet intérieur sombre, définitivement ancré dans
le passé, celui des bars discrets, coupés de l'extérieur et capable de
distiller une toute autre atmosphère une fois la porte passée. Au rez, dans une
configuration de bar classique, nous buvons le verre de trop pour D. qui n'a
visiblement pas supporté l'alcool de ses consommations antérieures. L. et moi
visitons les étages plus ludiques. La seule surprise réelle réside dans ces
glory holes bien visibles, plus drôles que réellement excitants à mon goût.
Parmi la foule, seuls deux jeunes mignons pourraient aiguiser mes sens mais
nous les avons déjà connu intimement par le passé (et comme nous ne nous
répétons pas), nouvel exemple de l'étroitesse du milieu bruxellois qui nous
ramène ostensiblement vers les mêmes têtes.
Je parcours les allées d'un oeil plus observateur qu'intéressé. Le parfum sexuel peut flotter autour de moi, je ne le perçois pas. Seule une question finit par s'imprimer en moi. Cette distance face au désir ouvre-t-elle la voie à une sagesse nouvelle dont la prédominance me sera plus qu'utile au fil des années ou traduit-elle le triste constat d'un comportement blasé, rétif à tout défi que m'autorise pourtant encore mon jeune âge?