Mykonos
Il
fallait entreprendre ce dernier voyage pour terminer l'exploration, découvrir
la dernière grande destination gay européenne qui nous était jusqu'alors
inconnue. Dans cet esprit de curiosité, nous avons sacrifié Ibiza cette année
pour arpenter les ruelles de Mykonos.
Après divers récits de vacances dominés par l’un ou l’autre moment fort
(parfois au milieu d'embûches), il devait forcément arriver un jour où les
conditions se présenteraient sous un jour moins favorable. J'ai toujours
imaginé qu'elles prendraient la forme d'une météo défaillante, un soleil
recouvert d'un épais banc de nuages gris, nous rappelant ostensiblement notre
fabuleux climat national, dans une forme de pied de nez à nos escapades pour le
fuir méthodiquement.
Point de tout cela dans les Cyclades. Le temps est demeuré superbe :
soleil franc et généreux, chaleur revigorante en journée et confortable en
soirée. La "chance" s'arrête toutefois là (le choix d’un point de vue
spécifique génère forcément une part d’exagération, je ne relaterai ainsi pas
les excellents repas ou les instants passés avec deux amies qui avaient, par le
plus pur hasard, opté pour une même destination au même moment).
Le
temps pourri de notre été continental a voulu tout d'abord prendre place
indirectement dans le décor de nos vacances. Imaginez-vous atteindre enfin
votre hôtel au bout d’un voyage de quelques heures, y déposer vos valises et
chercher illico le chemin de l'hôpital public local pour y dénicher un médecin
afin d’enrayer l’action de bactéries vigoureuses au sein de votre gorge (non,
ce n'est pas une balle de golf que j'ai dans la bouche, c’est un ganglion).
L. m'accompagne, grimaçant devant la perspective d'un début de vacances
pénible. Nous marchons des minutes et des minutes dans l'attente de cette
fameuse deuxième route à droite qui nous conduira à l'établissement, dans une
pénombre qui semble nous plonger - pour l'instant - dans le trou du cul du
monde (j’ai déjà dû utiliser cette expression, il y en a en effet partout).
Nous y parvenons enfin. L'endroit est silencieux, presque vide si ce n'est la
personne en poste à l'accueil. Je pourrais m'imaginer pour le même prix dans
l'ambiance d'un hôpital soviétique (mais a-t-on jamais vraiment veillé à
assurer un accueil architectural décent dans un quelconque hôpital me
direz-vous ?). Le médecin arrive enfin. Il est jeune, parle anglais et se
révèle sympathique. Je le convaincs de me prescrire un antibiotique pour
accélérer ma guérison. 7 jours sur place, le temps m'est compté. Il accepte,
tout va pour le mieux, les vacances peuvent commencer. Je vais sans doute trop
vite en besogne. Le diagnostic et la médication sont une chose, le processus de
rétablissement est un autre. Lors des 3 à 4 premiers jours, devant ma volonté
de ne rien sacrifier en journée, la fatigue m'envahira dès les 12 coups de
minuit sonnés.
Après
notre charmante escapade en plein coeur du service public grec (merci pour la
gratuité !), nous effectuons quelques repérages dans le centre-ville. Même
armé d'un plan, avec des rues il est vrai mal indiquées, nous nous y perdons.
C'est paraît-il un passage obligé pour découvrir l'endroit. Nous ne parvenons
même pas à repérer l’endroit qui abrite les principaux bars gays de l’île. Il
faudra attendre le lendemain, quelques renseignements complémentaires en poche,
pour finalement y accéder.
La déception nous guette : 3 bars dans la même rue constituent le seul éventail
gay nocturne. J'avais certes lu que Mykonos n’abritait pas le meilleur du
clubbing, il n'empêche, je perçois bien vite que plutôt que sur soi (à la
Justin Timberlake), nous tournerons avant toute chose en rond avec un tel
programme. Je constate par ailleurs que contrairement à d'autres destinations
gays, le sexe est repoussé en dehors du circuit commercial. Pas la moindre dark
room, juste un endroit de drague extérieur, autour d'une église. De
l’orthodoxie grecque?
Sur le
chemin du retour méticuleusement élaboré pour rejoindre notre hôtel sans
nous perdre – et passant, bizarrement, autour de cette fameuse église -, je
découvre un peu à l'écart des déplacements incessants des promeneurs en chasse,
un jeune blondinet assis sur une marche. Sa présence détonne et je ne parviens
pas à deviner si elle est purement de circonstance ou pleinement recherchée. Je
décide de l'aborder en lui demandant s'il attend quelqu'un. Peut-être lui ai-je
trop vite ouvert une porte de sortie. Qu'il saisit. Visiblement mal à l'aise,
il me répond qu'il attend ses amis, impossibles à joindre, avant de faire sans
doute un tour en club. Il ment peut-être mais la dernière expérience avec un
mec qui ne s'assume pas m'a suffisamment découragé pour renoncer à poursuivre
celle-ci. L., resté en arrière de la conversation, me dira plus tard que mon
insistance aurait pu être récompensée. Un hétéro ne glousse pas ainsi à la
moindre de mes remarques à peine comiques (à moins que L. ne sous-estime
largement mes capacités humoristiques). Il ne saurait être question de
déception. Nous ne sommes qu'au début des vacances, d'autres opportunités plus
limpides se présenteront joyeusement à notre parcours, ai-je l'outrecuidance de
croire.
Le
monde touristique gay ne se ressemble pas forcément d'un endroit à l'autre
(question de nationalités représentées peut-être).
A la
plage, on retrouve certes toujours son lot de gym-queens paradant et exhibant,
fières comme un paon, leurs muscles fermes travaillés durant tout l'année. Je
me sens un peu gringalet dans l'aventure. Je n'ai pas l'air ridicule loin de
là, j'ai bel et bien réalisé quelques exercices réguliers ces derniers temps
pour maintenir un ventre plat et présenter des pectos plus saillants, sans me
rendre en salle (dans un programme forcément léger et destiné seulement à
adapter ma silhouette à la marge plutôt que la transformer en puissance).
Peut-être en ai-je d'ailleurs trop fait, sans disposer du matériel
adéquat : des contractures musculaires se manifestent dans le dos, comme
pour me rappeler la tricherie de ma démarche face à l’application consciencieuse
des fitness boys autour de moi.
Le soir, la population se révèle avant tout "baresque" (au sens
d’amateur de bars). On n'arrête pas de papoter, on mate certes de temps à autre
mais on semble refaire le monde après minuit (moi personnellement j'ai du mal,
j’ai toujours préféré les boîtes aux bars, et d’ailleurs de quoi peuvent-ils
bien parler à cette heure?). Je tente de repérer un beau mec dans la foule mais
las, personne ne me plaît vraiment. Où sont donc les jeunes mecs mignons ? J'en
vois bien un ou deux inaccessibles au sein de groupes ou un autre que je scrute
d'un regard "qui pue le cul" comme le dit une amie. Il réagit à son
tour en me fixant. Enfin! Trêve d'enthousiasme, n'as-tu pas repéré l'ombre
rondouillarde qui accompagne ses déplacements? Je dois en avoir le coeur net. Je les aborde de mon
plus bel anglais. Une langue que ne maîtrisent guère les italiens, dois-je
désormais en convenir. L'échange est assez limité, suffisamment clair pour
déchanter. Ils sont effectivement en couple. J'aurais dû le deviner : ils
portent tous deux un appareil dentaire. Je ne devrais pas me moquer. L'échéance
de mon opération dentaire se rapproche à grand pas et me fait frissonner sur
les conséquences à court et moyen terme.
Les
jours passent, le désenchantement se poursuit. En rejoignant une destination
gay, nous avons joint aux exigences de beau temps celle d’une vie nocturne
réussie: une ambiance festive (accompagnée d’une bonne musique), de la séduction
et son aboutissement. Toutes les objections du monde (peut-être justifiées) sur
la vacuité de cette préoccupation ne m'en détourneront pas, alimentée par
l'urgence du temps de plus en plus court qui nous sépare de la décrépitude
physique.
Et si ce temps était venu plus tôt que prévu? Certes, nous ne trouvons personne
qui nous plaise mais nous ne semblons pas vraiment plaire non plus à la
population agglutinée sur quelques mètres carrés. Notre pouvoir de séduction
serait-il en train de chuter vertigineusement? Notre modèle de drague en couple
subirait-il les premiers désagréments de nos âges respectifs qui nous rendent
peut-être moins attractifs de concert aux yeux des autres? Devrions-nous
modifier notre idéal en nous focalisant sur une conquête potentielle plus en
ligne avec notre âge?
C'est
peut-être cette idée qui guide mon attention vers ce méridional, qui doit
approcher la trentaine, au visage encore jeune et au corps attractif,
légèrement dessiné. Je vois son regard se poser surtout sur les corps dénudés
qui remplissent la petite piste de danse du bar principal. Je tente de m'y
faire une place mais je semble porter un signe distinctif embarrassant: un
T-shirt. J'ai certes l'avantage de ne pas partager ma transpiration mais
personne ne semble en avoir cure. En cherchant à séduire ce garçon, la tâche
semble relever du casse-pipe mais ai-je le choix si je veux m'adonner au
plaisir de ce type de challenge? Je tourne autour de lui, cherche à capter son
regard. Il m'adresse un petit sourire furtif qui ne me permet cependant pas
d'affirmer son intérêt à mes yeux. Je sens peu à peu le râteau poindre son nez
au bout du chemin. Perdu pour perdu, je dois me lancer. Je l'aborde. Le
charmant portugais me répond bien vite en français. J'effleure sa main, je ne
crois pas au hasard, je la saisis. Il la serre fermement autour de mes doigts.
Il est plus jeune que moi mais je me sens comme un gamin face à lui, cet amateur
de mecs plus musclés, plus âgés (au sens physique du terme), avec une
philosophie de vie que je devine bien différente de la mienne. Il n'y a pas que
la masse musculaire qui nous sépare mais toute une conception de l'approche
humaine. J'évoquerais volontiers un côté américain dans leur manière d'être. Un
comportement très adulte, retenu, un esprit de camaraderie mais empreint d'une
certaine superficialité, un univers très maîtrisé où la légèreté et la rêverie
semblent absentes. Tout nous distingue mais je sers pourtant cette main. Je
peux même à présent caresser le corps qui la guide, voire tâter l'épaisse forme
cylindrique dans son pantalon. Je tente de joindre L. à notre intimité et la
transition paraît réussir dans un premier temps avant que mon joli partenaire
ne me confie qu'il ne souhaite pas de sexe à trois, malgré son désir réel.
Jusqu'où les pédés iront-ils dans leur conservatisme, je vous le demande ?
Heureusement qu'il existe encore les allemands sur terre. Sauf qu'ils ne sont
pas très présents sur l'île…
Notre
ultime chance vient de s'envoler. Sur le chemin du retour, nous croisons un
garçon mignon à l'Eglise mais après avoir engagé la conversation, son visage
quelque peu marqué me ramène inlassablement à la maladie. Ma désespérance
affiche opportunément ses limites.
Le retour au pays devient souhaitable pour ramener un peu de sérénité mais la mauvaise passe se poursuit. La Belgique me réserve un charmant accueil à froid, bien enrhumé (à moins que ce ne soit Mykonos qui m'adresse une dernière salve d'infortune). Sur le net, aucune surprise enchanteresse ne semble en mesure d'expurger le souvenir mièvre de nos rencontres grecques (miroir, oh beau miroir, dis-moi que je suis le plus beau même si c’est faux) et mon opération s’affirme peu à peu comme la prochaine grosse échéance. Plus de doute, je traverse une période ingrate. Il faut savoir le reconnaître pour essayer de le supporter. Voilà c'est dit, première - et minuscule - étape franchie...