Paris-Narbonne-Sitges-Barcelone (part 3)
A peine
arrivé, Barcelone m'enthousiasme. Cinq ans après l'avoir découverte et
appréciée, je me sens immédiatement chez moi le long des ruelles étroites de la
vieille ville ou des artères larges genre Passeig de Gracia. Cantonné
dans un esprit très vacances, le programme n'adopte pas soudainement un mode
culturel (il le fut lors de la première visite il y a quelques années) mais se
décline en shopping, terrasses, plages en fin de journée. Morceaux choisis de
quelques moments forts.
Dans
une boutique fashion, un vendeur d'un peu plus de 20 ans me propose son
aide après avoir jeté au préalable quelques regards dans ma direction. Son
visage avenant, sa gentillesse et sa détermination à me parler en français me
convainquent de prolonger la recherche d'un jeans pourtant accessoire. Il
manifeste une bonne dose d'abnégation pour répondre à mes (prétendues)
attentes, loin de la condescendance affichée
par certains jeunes commerciaux. Je découvre peu à peu qu’il n’est d’ailleurs
sans doute qu’aux prémisses de son évolution, après avoir déjà mis en œuvre d’importants efforts
pour intégrer cette fraternité de la coolitude.
Il n’a pas encore gommé sa timidité, concédant encore au passage quelques
rouges aux joues. J’observe, amusé, son appareil dentaire et relève sa volonté
de se débarrasser le plus souvent de ses fines lunettes, vestiges d'une
adolescence qu’il ne peut encore évacuer. Son style vestimentaire, jeune et
décontracté sans fioritures, trahit néanmoins quelques signes d'inattention
témoignant d'un narcissisme encore inachevé (comme l'illustre cette étiquette
visible sur son caleçon manifestement enfilé à l’envers).
Je finirai par trouver un modèle adéquat de jeans et, après avoir remercié mon
serviteur de l'attention prodiguée, ne pourrai reculer devant l’achat. Un peu
comme lors de ma visite dans ce magasin à l’ancienne tenu à Sitges par une
vénézuélienne haute en couleur, très almodovarienne. Un genre de commerce que
j’imagine aisément menacé par des enseignes au potentiel marketing plus
puissant. L me confiera un sentiment de solidarité et d’émotion identique,
preuve que nous partageons quelque part une même philosophie de vie, vecteur
essentiel au sein d’un couple.
Barcelone,
ville propice aux images cinématographiques. Lors de notre passage, Woody Allen
y tourne son nouveau film (avec l'inévitable Scarlett Johansson). Constamment,
en parcourant les recoins de la capitale catalane, nous nous sentons embarqués
dans des décors évoquant les charmes souterrains du septième art.
Ainsi dans ce marché couvert proche de la rambla qui, le soir, est investi par
quelques prostituées transexuelles susurrant entre pénombre et faible halo de
lumière un "hello chico" langoureux. Un même endroit qui le lendemain
offrira une scène semblant sortir tout droit d’un scénario préparé.
Un jeune français de 18 ans à peine, tout de blanc vêtu, s'arrête avec un de
ses amis après d'un transexuel, petit et bien portant, avec lequel ils engagent
une conversation dont nous ne percevons pas le contenu vu la distance nous
séparant. Le transexuel lui tâte le paquet un instant sans provoquer la moindre
réaction de sa part. Nous les dépassons avant d'être rattrapé par la
course ondoyante de cette tête brûlée visiblement bien éméchée. Il n'arrête pas
de répéter à son ami, en se tordant de rire, "5 euros" (le prix qu'il
est sans doute parvenu à négocier pour je ne sais quel acte qui ne sera pas
mené à terme). Je n'ose me retourner pour observer le visage de la prostituée
prise au piège de ce pari juvénile. Le jeune homme rejoint la rambla et se met
bientôt à danser, euphorique, au milieu de la route ignorant les véhicules
venant à son encontre. Le premier d'entre eux vrombit et accélère pour
lui faire peur et l’amener à libérer la voie. Il se déplace légèrement dans un
même mouvement chaloupé avant de se retourner vers la voiture en lui adressant
un geste clownesque pour bien signifier qu’il reste le maître du monde en ce
moment. Clap.
Sans doute renseigné trop tard sur les lieux les
plus en vogue de la vie nocturne, nous n'y retrouvons pas l'ambiance excitante
de la journée ou la beauté qui se déploie à chaque coin de rue. Nous
compenserons cette déception avec un israëlien qui viendra nous confirmer la
réputation de corps sportifs finement sculptés que m'avait relatée L. après son
voyage à Tel Aviv. Il cassera par contre l'image d'un peuple forcément très
religieux, appliquant avec rigueur les principes culturels au quotidien.
Roy figurera à une place particulière dans nos aventures, floqué du dossard 100
en bout de la liste de nos partenaires dans une énumération qui doit moins à un
souci de performance narcissique (ce seul critère nous aurait conduit bien au
delà de ce nombre) qu'à l'esprit du jeu qui nous anima un jour pour la
reconstituer, un certain devoir de mémoire, de respect envers celui qui nous a
ouvert son intimité et une preuve concrète de la réalité vive de notre
existence face aux doutes permanents d’une présumée inaction.
La plage sera le théâtre d’un dernier épisode
cocasse avant notre départ. Nous y sommes accostés en français par un jeune mec
blond au corps agréablement dessiné. Nous ne lui avons jamais parlé auparavant
mais dissimulons notre surprise devant sa silhouette élancée. Qui ne nous est
d'ailleurs pas étrangère. Nous avions aperçu le profil virtuel de ce jeune
flamand en Belgique, échangeant même peut-être un message avec lui par le
passé, sans pour autant justifier cette façon directe de nous aborder. L'une ou
l'autre de ses remarques me fait rapidement comprendre l'erreur sur la (les)
personne(s) et un éclaircissement s'impose bientôt. Nous apprenons qu'il
pensait parler à un couple parisien nous ressemblant (diantre, ils seraient
contents de constater que leur ami ne les reconnaît même pas, un vrai
physionomiste!), et finit par affirmer nous reconnaître désormais. Installé
auprès de nous, il finira par y rester jusqu'a son départ. Une rencontre des
plus étranges a priori mais qui revêt au cours de ces vacances un habit de
légèreté plutôt commun, rendant possible toutes les extravagances bienfaitrices.
La fin
du voyage approche irrémédiablement, laissant bientôt seulement une peau bronzée,
quelques souvenirs et e-mails, un souffle de vie et des instants de liberté
comme le quotidien nous en réserve trop peu, happés que nous sommes dans un
rythme qui nous dépasse trop souvent. L'évasion a un prix (d'autant plus fort lorsqu’on
doit rechercher sa voiture à la fourrière - Barcelone en voiture, plus jamais!).
Le travail m'appelle déjà, l'oeil rivé sur d'autres explorations.