Tu seras beau mon fils
Cela
commencerait presque comme un sketch de Bigard (oui, le grand comique
sarkozyste), avec cette dérision face aux habitudes et autres expressions
formulées à l'occasion de certains événements. Prenons quelques exemples.
"Bravo
pour ton anniversaire" (à l'exception d'un suicidaire, je ne vois pas
pour quelle raison nous devrions louer un individu pour avoir atteint ce
cap).
"Félicitations pour ton mariage" (bravo, tu t'es conformé au
modèle social: non seulement tu fais partie de ceux qui ont réussi leur vie
sociale en trouvant quelqu'un - peut-être n'importe qui finalement - et en plus
tu t'engages à… recevoir plein de cadeaux).
« Vous formez un beau couple ». Tel est le message adressé par un contact virtuel
nous ayant aperçus lors d’une soirée. Je suppose qu'il a voulu dire
qu'il nous trouvait beaux tous les deux et qu'un couple constitué de deux
belles personnes était une réussite esthétique (peu importe ensuite qu'on se
tape dessus, qu'on ne s'épanouisse pas - exemples donnés au hasard).
Ce dernier exemple pour en venir au
fonds de ma réflexion du jour: comment appréhender les félicitations sur son
physique?
Il est assez curieux, voire contradictoire que dans
la société du mérite dans laquelle nous évoluons (ou vers laquelle les
politiques veulent nous mener), nous accordions une place aussi importante,
voire décisive à la beauté physique, ce mystère de la nature insondable.
Que ce soit dans la procédure de sollicitation professionnelle ou dans le
contact social, disposer d'un physique avenant constitue un capital symbolique
puissant pour gérer au mieux ces situations.
Si nous devions attribuer un quelconque mérite dans cet état de fait, nous
l’accorderions alors en premier lieu aux parents qui veillent à garantir la
bonne santé et le bonheur de leurs progénitures pour produire au final un
adulte équilibré (du moins en apparence). La récompense ne se matérialiserait
toutefois qu’indirectement (les enfants tirant parti des efforts de leur
famille, à l’image des ressources financières transmises par héritage) et
dépendrait grandement des conditions financières et des dispositions
culturelles des parents. Etre beau pourrait donc dépasser le
simple cadre du cadeau de la nature et dépendre de la non moins chanceuse
éducation harmonieuse dispensée dans
notre société occidentale aisée.
Dois-je en conclure que celui qui est considéré comme beau ne peut en
tirer aucune fierté?
Dans une société prospère contre la nôtre, nous
disposons - pour la plupart - de moyens pour mettre en évidence nos atouts
physiques. Chacun les exprime en fonction des habitudes culturelles inhérentes
à la classe sociale à laquelle il appartient ou adopte un genre (vestimentaire
ou comportemental) spécifique auquel il s'identifie. Nous conservons donc
toujours une part de responsabilité dans notre apparence publique. Nous avons
déjà pu constater dans la presse people qu'une personne incroyablement belle
peut se révéler moche dans des conditions particulières. A l'inverse,
travailler son corps à la salle de sport permet par exemple de présenter une
enveloppe extérieure appréciable aux yeux des autres et ce regard (au minimum)
équivaut à une récompense pour les efforts accomplis. Quelque part, l'image que
nous renvoyons est toujours construite.
De plus, nul ne niera que le charisme plus ou moins fort d'une personne se
nourrit de l'entrain et la personnalité qu'elle dégage.
Je pourrais même aller plus loin. Ne parvenons-nous pas à exprimer autre chose
qu'une simple apparence dans notre présentation physique ? Ne s’y
dévoile-t-il pas d'autres caractéristiques comme l'humanité, l'intelligence,…?
Cette idée à laquelle on aimerait croire se révèle parfois bien moins subtile
en réalité (cela me rappelle cet épisode lors duquel une vague connaissance
m'avoua, après quelques instants de conversation sur internet, son étonnement
de découvrir une cervelle derrière la belle plante que j'incarnais alors à ses
yeux sur base de mon apparence publique).
N'être valorisé que sous cet
unique aspect plastique peut créer une forme de blessure intime. Voire même une
emprisonnement par l'obligation sous-jacente de remplir un rôle et de ne pas
décevoir (peut-être d'ailleurs plus pour soi-même de peur de ne plus être
apprécié dans sa globalité en perdant l’aura de cette caractéristique).
Cette
sensation peut finir par étouffer. Certains chercheront alors à s'enfuir, iront
jusqu'à s'enlaidir volontairement pour échapper à la fonction limitée à
laquelle on les assigne. Fuir les lignes est en soi le meilleur moyen de ne pas
s'enfermer dans une représentation publique. Mais pourtant, rarement, les gens
beaux vont jusque là.
D'une part, car, dans une société de compétition, il faut tirer bénéfice de ce
dont la nature nous a pourvu. Cet avantage facilite le combat à livrer dans le
monde extérieur et permet d'y puiser de nouvelles ressources via les remarques
positives émises.
D'autre part, mettre en évidence ses atouts physiques constitue une
démarche esthétique en soi, qui dépasse sa propre situation pour s'ouvrir aux
autres. Le beau participe déjà à la société par sa simple raison d'être.
Il offre à chacun des moments de bien-être qui contribuent à l'élaboration
d’une vision personnelle positive à l’égard de son environnement de vie. La
beauté est sans nul doute d'utilité publique et cette artificialité apparente
- qui s'oppose souvent dans certains discours avec le fonds de l'âme - joue à
sa manière un rôle aussi essentiel que l'expression des sentiments, de
l'intelligence et du respect pouvant émaner de l'être humain.