Personne n'est parfait
Si
l'émotion traverse nos vies, que devons-nous faire de son trop-plein ?
Il arrive à certains moments de se laisser absorber par une fragilité
intérieure, dans une période que l’on pourrait qualifier de mélancolique où
affleurent les sentiments les plus divers dans une exacerbation radicale.
Décentré de son équilibre émotionnel, on y expose son cœur à vif et cette
anarchie affective peut provoquer des remous qu’il n’apparaît plus possible de
maîtriser.
N’est-il pas préférable de vivre cet état seul, en arrachant les émotions en
simple spectateur de scènes de la vie quotidienne ou de la création artistique,
plutôt que s'immiscer dans l'arène humaine plus participative ?
L'envie de vivre le contact interpersonnel sous un jour plus intense
stimule autant qu'elle ne fait peur. Une forme de défense vise à nous protéger
des retombées incertaines en reculant face à cet investissement.
Et quand une pression externe contraint à nous extraire de cette bulle
intérieure, nous pénétrons dans un champ de couleurs plus vives qu’à
l’accoutumée, à l’acoustique renforcée amplifiant le moindre battement de cœur, propulsé au centre d’une toupie dont la vitesse de
rotation excessive finit par nous faire tourner la tête.
Mon
immersion vient de durer une semaine. Je me suis senti tour à tour excité
sexuellement, ému, brièvement serein, de nouveau sous l’emprise du désir. J'ai
deviné, inquiet, l’ombre de la mort en côtoyant la luxure. J'ai cherché à
renforcer la balance d’émotion positive. Je m'y suis perdu, plongé dans un trip
émotionnel qui m'a rapidement dépassé. J'ai aimé, j'ai aimé l'être. J'ai tenté
de reculer tout en avançant, j’ai perdu tout contrôle, j'ai pris peur, j'ai
fui. J’ai entendu la souffrance, j'ai pleuré. Longuement. Avant de m'endormir.
A mon
réveil, après 6 jours d’apnée dans cet espace chimérique, j'ai émergé. J’ai
aperçu la sortie et ses deux issues, dans un décor où l’éclat des couleurs
chaudes avait cédé le relais aux teintes blafardes. Le vent soufflait dans mon
dos, prêt à m’aspirer de nouveau mais bien emmitouflé, j’ai résisté tant bien
que mal. J’ai gardé les yeux rivés sur cette bipolarité. Je n'ai pas bougé, je
n’ai pas eu peur d’attendre le crépuscule du 7ème jour avant de rejoindre la
voie que j’avais décidé d’emprunter.
L. se
trouvait là, raide, inexpressif, presque indifférent dans un réflexe d’animal
blessé. J'ai amorcé le dialogue, j'ai tenté - sans succès - de réformer avec lui
la vie qui nous attendait derrière cette porte. Qu’importe, j’avais fait mon
choix. Poursuivre cette vie globalement heureuse, bien que percée par cette
faille éternelle, issue du passé et que le temps n'a jamais pu effacer, cette
irréconciliable brisure qui contamine tout partage de tendresse au point de
vouloir l’éprouver dans les bras d'autres garçons par temps de mélancolie.
J’ai préféré renoncer à cet autre chemin où
se dessinait à l’arrière-plan l’esquisse d’une silhouette troublante et
émouvante, à la jeunesse soudain trop angoissante. Je risquais de perdre cette
force que L. me transmet au quotidien, ce halo de vie positive qu'il éclaire en
permanence même quand je voudrais qu'il l'éteigne avec moi à certains moments.
J'ai
fermé les yeux. J'ai pris sa main. Nous avons regardé devant nous. Des vacances
tout d’abord, avant un nouveau bout de chemin à l’horizon désormais plus
incertain.