Ca se passe comme ça chaque année
Ca se passe comme ça, chaque automne, voire chaque hiver selon L. Il a peut-être raison, je ne m'en rends compte que modérément. Je suis conscient que cette période génère chez moi un mouvement de repli, un recul dans les démarches de sociabilisation mais dans le même temps, il semble toujours qu'un élément extérieur vienne accentuer ce processus.
Au fonds, quoi de plus normal, après le rythme soutenu de sorties estivales, que de prendre le temps de respirer, de réinvestir son intériorité. Bien sûr, peu de choses ont changé deux mois plus tard et je commence à ressentir une lassitude à me morfondre à la maison certains week-ends. J'écris peu, je ne photographie pas, je ne participe à rien pour modifier notre intérieur. Je me contente du rôle de spectateur passif de films parfois enthousiasmants ou de lecteur de récits émouvants ou simplement distrayants. Je veux bouger, je peine à m'extraire d'une certaine torpeur. Je veux redynamiser mon quotidien, je l’anesthésie faute d’ingrédients savoureux.
Un autre élément s'est toutefois installé dans ce décorum, cette fameuse tuile qui a affecté discrètement, au rythme du mouvement de balancier d'une plume, la surface de mon corps pour mieux pénétrer ensuite l'esprit. La raison importe peu, seule s'impose la réalité, cette privation de contact corporel. Avec elle, je me sens délesté de ma capacité d'action, c'est ma liberté qu'on ampute. A l’image de l'expérience de la douleur qui, par le passé, ne se dérobait jamais quand je cherchais à la contourner pour m’amuser l’espace d’un instant, je ne peux imaginer vivre pleinement, sortir, séduire si je ne dispose pas de cette opportunité de donner un prolongement éventuel à un regard ou un sourire. Une crainte peut-être de regretter l'injonction à l'abstinence et d'endurer le sentiment de frustration consécutif. Une angoisse de ressentir qu'à nouveau c'est mon adolescence qu'on assassine.
Si tous les clignotants n'émettent pas le nécessaire signal vert, les rouages de mon moteur intérieur s'immobilisent, le blocage intégral guette. Comme un bolide, j'ai besoin d'une pleine puissance pour m'exposer aux autres et participer au mieux à cette course (au bien-être).
A l'abri des vrombissements, les heures s'écoulent, les journées se succèdent, la machine à vieillir s'applique méticuleusement chaque jour un peu plus à son ouvrage. Le temps presse. Mon retrait volontaire n'apporte plus sa réserve rassurante. J'imagine l'ambiance ailleurs, ma présence, mon regard qui se pose ci et là, celui qui se porte sur moi. Me montrer tant qu'il est temps, pour y croire encore. Vouloir encore participer au jeu impitoyable de la séduction et accueillir à soi ces corps désirables qui ne s'effacent jamais du disque dur de mes souvenirs mais si vite de ma mémoire vive. La source ne se tarit jamais et je me dis qu'il ne faudrait jamais rien refuser pour en profiter un maximum jusqu'à son terme. Mais un frein finit toujours par être actionné. Il survient toujours ensuite cette tentation d'une autre vie, mature et sage. Ce bonheur est-il réel? Est-il forcément désenchanté comme je le pressens? Cette simplicité demeurera-t-elle inatteignable ? Ma vie est-elle condamnée à rester ce refrain qui se raye au fur et à mesure de la répétition des mêmes sillons? Puisque je ne parviens à me retrouver que face à moi-même, sans efficacité, à qui, à quoi sers-je donc ?
Toujours pas de révolution en vue cependant. J'attends juste - une nouvelle fois - des jours meilleurs.