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Mo's blog
18 octobre 2006

Une vie antérieure part 12 : "Ghost world"

viavant12

Finir ses secondaires, c’est abandonner la relation proche, locale pour entrer inéluctablement dans un univers plus froid, impersonnel, voire hostile.
Ma rétho se termine non sans un certain pincement en cœur. Je ponctue l’année avec l’une des trois meilleures notes, toutes classes confondues. Un résultat qui me surprend autant qu’il me comble. Ma prof de français (…) tient à m’embrasser pour me féliciter, confiant au passage que j’incarne à ses yeux le fils ou gendre idéal. Cette remarque m’étonne tellement de sa part, je suis si calme et réservé par rapport à elle, comment peut-elle affirmer cela ?

Pour fêter au moins une fois dans ma vie mon anniversaire en autre compagnie que celle de mes parents (vu nos vacances en France en juillet), j’organise un dîner à la maison avec toute ma classe. Un air de fin de parcours flotte dans l’ambiance joyeuse. Il règne moins un esprit de fête qu’une célébration sereine d’un enterrement. Je ne sais pas encore qu’il s’agit de celui du cocon que je m’étais constitué jusqu’alors. 

En septembre, je prends le chemin de l’université, parcours évident pour tout jeune ambitieux (il n’y a pas de grandes écoles en Belgique). Si certaines personnes connaissent l’illumination d’une vocation les guidant vers un choix presque naturel, je n’ai pas cette chance. Ma réflexion de longue haleine n’a pu accoucher d’une idée précise sur mon futur scolaire et professionnel. Déterminer ce qui va orienter majoritairement sa carrière professionnelle à 17 ou 18 ans paraît tellement incongru : nous manquons encore tellement d’expérience de vie – en tout cas elle me faisait personnellement défaut. 

Mon indécision me conduit à suivre la tendance autour de moi : choisir des études au spectre large débouchant sur une kyrielle d’opportunités à leur terme. Entre les traditionnelles filières juridique et économique, j’opte pour la seconde par défaut.  L’expérience de ma sœur, qui avait choisi le droit, m’a rapidement détourné des perspectives de syllabi gigantesques appris par coeur, sans compter que le côté plus matheux de cette formation me convient sans doute mieux.
La matière est un premier choix délicat, l’endroit de son enseignement en constitue un autre. En restant dans ma ville d’origine, je décide de continuer à vivre chez mes parents. D’une certaine manière, cette situation me satisfait. Je redoute l’expérience de kot et de sa vie en commun ou même du petit studio (je n’imagine même pas cuisiner, sous peine d’encourir des carences alimentaires en fin d’année).

En débarquant sur le campus, je découvre avant tout l’auditoire, énorme, où se déroule la plupart des cours. Un coup d’œil à gauche, un autre à droite, un seul de nous trois continuera la route l’an prochain, nous dit-on. Je frémis. L’être angoissé que je suis réalise que le stress va atteindre un palier supplémentaire cette année.  

Plusieurs camarades du secondaire ont opté pour ces mêmes études. Nos chemins se séparent toutefois assez vite. Plusieurs d’entre elles manifestent leur indépendance, leur volonté de rompre avec le groupe pour s’intégrer dans de nouveaux. Le microcosme qui s’était déjà rétréci finit très rapidement par imploser. Je ne leur en veux pas. Leur motivation me paraît légitime. Je ne suis juste pas prêt à affronter cette jungle. Je me trouve confiné le plus souvent entre deux pôles: les étudiants coincés et sérieux d’un côté et les plus déconneurs et sorteurs de l’autre. Dans aucune de ces catégories, je ne me reconnais. Au fil des jours, je vois notamment Anne et Laurence se frayer une place auprès d’un groupe de garçons plutôt « grandes gueules », face auxquels je n’existe pas. Ils fréquentent le « cercle étudiant». Moi je ne bois pas et les discussions légères autour d’un verre s’apparentent à une intrusion dans une galaxie totalement étrangère. Je me sens rapidement seul, traînant d’une personne à l’autre sans conviction aucune sur la nature de ces relations de circonstance.

Pendant le temps de midi, plutôt que de rejoindre ce petit bar adjacent tenu par le cercle, je me rends chez ma grand-mère à 15 minutes à pied de la faculté. Ma présence lui fait plaisir et chez elle je retrouve un refuge pour affronter ce monde qui ne m’avait jamais paru si hostile. 

Je tente bien de faire un pré-baptême. Le passage idéal voire obligé pour s’intégrer, me dit-on. Entre les cris vexatoires de notre responsable, nous beuglons en pleine ville des « nous sommes tous des homosexuels » (des quoi ?) et buvons, sous la pression, je ne sais quelle potion infecte. Cette épreuve me suffit. Le défi du baptême appartiendra aux autres (et je ne m’en plaindrai jamais).

J’expérimente également les sorties estudiantines. Après avoir rapidement passé le chemin du bar-phare à l’intérieur perpétuellement sale et au fonds sonore limité aux chants étudiants officiels (vous avez déjà fréquenté l’enfer, vous ?), je décide de forcer la porte de cette fameuse soirée « éco » du jeudi soir, un passage obligé. Tout le monde s’y rend en tablier blanc ou mieux encore blanc passé (la souillure comme prestigieuse attestation de longues heures de guindailles). Pour ne pas me ridiculiser par une blancheur vierge de toute virée, ma sœur (à l’expérience ô combien avérée en la matière) s’est appliquée à l’égayer de quelques inscriptions vives et le ternir par des mottes de terre miraculeusement entrées en contact avec le tissu.
En débarquant dans cet endroit caverneux, je me sens immédiatement mal à l’aise. Cette atmosphère de beuverie généralisée me rebute (a fortiori pour quelqu’un comme moi qui ne consomme pas d’alcool) tout autant que cette obligation de s’amuser en déconnant, dans une conception pour le moins machiste de la fête, à laquelle même les filles participent, pour pouvoir exister sans doute. Déplaisante également cette pseudo fierté de faire partie de l’élite qui sous-tend un dédain pour ce qui n’y appartient pas (le supérieur non universitaire ou le secondaire que nous venons de quitter quelques mois plus tôt). Je ne peux même pas me fondre dans une bulle musicale réconfortante, face au programme répétitif de tubes estampillés « années 80 ». La tristesse m’envahit au fil des minutes. Je mesure la distance me séparant de ce monde grouillant autour de moi où s’intègrent amis et connaissances, enthousiastes ou feignant de l’être. Je ne me pose pas encore la question d’un autre environnement où je pourrais trouver ma place, je réalise juste que cette ambiance universitaire se fera sans moi et que les liens avec mes camarades d’alors s’estomperont naturellement. Je quitte l’endroit le cœur lourd, je n’y retournerai jamais.

Faute de sorties, je me concentre sur mes études, assidu au cours et plutôt sérieux dans le suivi. Enfin dans les cours majeurs car j’ai quelque peu laissé tomber une à deux matières, au rang desquelles la sociologie. Nous devons essuyer les plâtres d’une première année d’enseignement de la prof qui cherche manifestement ses marques. 

Dans d’autres circonstances, j’aurais pu remarquer dès ce moment qu’il s’agissait d’une matière passionnante, voire d’un style d’études à approfondir. Au lieu de cela, le défilé des figures centrales de la discipline se révèle bien rébarbatif et parfois même peu compréhensible (certes Touraine n’apparaîtra jamais comme le plus motivant d’entre eux).
La session de Noël constitue un test, une répétition avant celle de fin d’année. Un seul examen éliminatoire mais il faut aussi assurer une moyenne générale. L’examen de sociologie étant placé en dernier dans la session, je le prépare assez peu, la finalité de cette session ayant été atteinte (ou non) à ce moment. L’examen oral se compose de deux questions. Je tire la carte. Mauvaise pioche. Le deuxième question concerne un texte que j’avais mis de côté pour le lire en dernière minute…avant de l'oublier sur le coin de la table. Je tente d’inventer une réponse mais vu mon expérience inexistante dans cette matière, je ne débite que du vent aux yeux de la prof. Quand elle m’annonce après coup mon échec, je subis un coup de poing violent, le premier après tant d'années. Une réelle agression à mes yeux, une épreuve intenable dans mon désir de perfection, un résultat inavouable dans le regard des autres, je suis obligé de rester celui qui réussit.
 

Même si ce raté s'avère sans incidence sur le résultat final, positif, je me sens piqué au vif. Au cours du second semestre, je consacre un temps particulier à réinvestir les notes du premier semestre que j’avais trop négligées et assure un suivi régulier des nouveaux cours dispensés. Si je dois réussir en fin d’année, il faut y mettre une touche particulière dans cette matière pour conjurer cette atteinte à mon parcours sans faute. Lorsque la prof m’assure avoir réalisé un très bon examen (17/20), je tiens ma revanche. Mon honneur demeure sauf, ma valeur en tant qu’être humain préservée, comme si seul ce moyen parvenait à me le signifier.

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Commentaires
I
sympa ce blog !bien écrit
2
Je n'ai jamais aimé ces soirées ... le titre est bien trouvé, colle bien à l'esprit du post, j'adore ce film tiré de la BD.
B
Tout d'abord, merci de ces souvenirs si bien narrés.<br /> Ensuite, je me retrouve tellement dans ces souvenirs qui pour moi ont un brin de nostalgie.<br /> Et pourtant, moi non plus, je n'ai jamais accroché aux soirées qui n'étaient le lieu, en apparence, que de beuveries sans nom et de dragues incertaines...<br /> J'éprouve bien du plaisr à te lire.
H
Fidélité de Marie.<br /> <br /> H. M.
M
Oublier sur le coin de la table ? est-ce possible ?
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