Laura
Dans l'évocation de ses vacances, chacun surligne l'un ou l'autre de ses souvenirs les plus enthousiasmants en fonction du degré d'importance qu'il attribue aux activités entreprises à cette occasion: la fête entre amis, la sortie en boîte, la découverte d'un panorama magnifique, le repos sous le soleil. Si je me retrouve un peu dans chacune de ces catégories, l’attraction la plus sensible réside probablement dans la saveur des rencontres agrémentant le séjour.
Celle de type sexuel s'affirme comme la plus percutante dans la mesure où elle nous confronte plus rapidement avec l'intimité d'autrui. Sans toucher forcément à une vérité absolue (tout le monde ne s'y dévoile pas de la même manière), l'acte révèle de multiples informations sur l'individu qui laisse échapper parfois certaines émotions qui n’auraient pu être mises à jour dans d’autres circonstances (leur perception constitue sans doute l'essence de ces rapprochements, au delà de la recherche plus mécanique du plaisir).
L'absence d'une dimension sexuelle ne condamne pas pour autant tout autre type de rencontre (bien heureusement !). Dans l’ultime post sur mes dernières vacances, je tenais à ne pas passer sous silence la rencontre avec Laura que j'avais réduit injustement en danseuse topless précédemment.
Sortir en pleine journée peut apparaître comme une incongruité totale. Le clubbing ibizien réserve cependant quelques-uns de ses meilleurs moments lors de ces "party" où filtre parfois en abondance la luminosité extérieure, à l'instar de ce samedi matin au Space où s'est pressée la toute grande foule.
La musique finit par emporter mes réticences quant à cet horaire inhabituel. Pendant trois heures, je me fonds dans le rythme ambiant d'où je puise une pure joie de danser.
Je peux difficilement isoler le plaisir du bon son de celui des yeux. J’observe autour de moi le bout de chair, le regard qui pourra satisfaire cette quête esthétique - l’étape de séduction ne revêtant souvent qu'un intérêt secondaire dans un endroit où je m’amuse. Je repère bien ce bel italien qui n'en finit pas de papillonner dans la boîte avec sa meilleure amie. Positionné derrière eux sur des marches, j'accueille jovialement le contact visuel initié par cette fille, je réponds à ses sourires de plus en plus francs. Après tout, quoi de plus normal de manifester son bonheur de vivre? Pas totalement naïf, je décèle une part de séduction dans sa gaieté partagée et je ne cherche pas directement à m’en dissocier. Au fonds, elle est plutôt jolie et la proximité avec son bel éphèbe d’ami me donne une raison supplémentaire de ne pas fermer de porte. Un black l'aborde cependant quelques minutes plus tard avant de lui adresser bientôt un baiser sur les lèvres. Je rigole intérieurement de la rapidité avec laquelle je me serais fait souffler l'opportunité si j'avais été hétéro.
Nous finissons par quitter la boîte pour rejoindre la plage, théâtre de nos retrouvailles le lendemain. Dans l’eau de mer agréablement chaude, elle s’adresse rapidement à moi dans un anglais langoureux : « I recogniiiiiize you ». Des citoyens londoniens apprends-je mais aussi des milanais d’origine. Sur insistance de Laura, nous nous donnons rendez-vous pour prendre un verre le soir dans la vieille ville.
Dans ce bar en plein air, je peux enfin converser avec Lucio. Notre échange me conduit cependant au constat d'une compatibilité impossible. Notre présence ne paraît d'ailleurs guère ravir ses amis italiens, très froids envers nous, dans un ethnocentrisme tranchant totalement avec l’ouverture des allemands.
Je me retourne vers Laura bien plus aimable. Les regards qu’elles me jettent deviennent brûlants, elle m’explique qu’elle n’a trouvé, lors de la soirée de la veille, qu' une seule personne à son goût. Naïvement je parle de son ami black mais elle avoue l'avoir embrassé du bout des lèvres, presque avec dégoût. Elle insiste sur un garçon avec qui elle a échangé des regards et qui n’a pas osé l’aborder. Conscient désormais de l'identité de l'individu, je plonge pieds joints dans le jeu de séduction tout en m’étonnant de ses espoirs. Je l’ai rencontrée dans une boîte gay à plus de 50%, nous nous sommes retrouvés sur une plage gay et le bar où nous discutons l’est tout autant. Comment une fille à pédé peut-elle encore envisager un virage de cuti inversé ?
Une forme de tendresse particulière n'en finit pas de traverser son visage, expression très différente de celle rencontrée chez les mecs. Peut-être cette sensation différentielle m'est-elle propre, au vu de la dimension sexuelle forcément absente que j'y attribue. Le trouble m'assaille dans tous les cas.
Avant notre départ, elle me lance un dernier regard intense et sans équivoque, m’obligeant à tirer au plus vite les conclusions qui s’imposent. Même si je prends plaisir à cette démarche séductrice inattendue, je dois l'avertir de l’inanité de ses espoirs. Sa noble réaction, entre déception et gentillesse non feinte, ne parvient à effacer en moi un arrière-goût de tristesse devant l’impossibilité de donner une suite à cette gamme inédite de sentiments, regrettant quelque part pour la première fois ma stricte homosexualité.
Lors de notre ultime sortie avant notre départ de l'île, je lui adresse à distance quelques signes d'au-revoir. Lovée dans les bras d’un amoureux de vacances enfin déniché, elle me répond par deux à trois sourires consécutifs d'une douceur apaisante infinie, comme si les plages blanches du livre de notre rencontre distillait malgré elles le parfum de nos sentiments diffus dont l’expression platonique ne saurait tarir leur mystérieuse opacité dans le champ de ma mémoire.
(oui, les commentaires sont déjà rouverts. Jonas, tu m’as convaincu)