Cet arabe qui t'excite
Après d’ardents regards échangés, il m'attire sur la piste d'un geste décidé, plonge une main dans mon jeans, il a clairement l'intention de me baiser. Plus prompt généralement à mesurer la mutation érectile des émois suscités, le partenaire séducteur n'a cette fois d'égard que pour sa face opposée, si peu habituée à se voir ainsi honorée. Quand à mon tour je tente de me positionner à sa suite, il oppose d’emblée une fin de non-recevoir à mon invite. Chasse gardée pour préserver son honneur mâle, dans une sexualité où le terme anal se confond chez lui avec unilatéral. Faute de compatibilité, le jeu ne pourra durer bien longtemps, je dois en profiter sur le moment. En insérant ma main à l'intérieur de son jeans serré, je réalise le fantasme ultime jamais espéré. Je l'introduis par le même biais dans tous ces trainings qui avaient échauffé mon esprit durant toutes ces années. Refermer le creux de ma paume sur cette queue circoncise, vigoureuse sans être massive, relève d'un accomplissement en soi dont la jouissance liquide et solitaire peut attendre quelquefois.
"Cet arabe qui t'excite". Il avait suffi à L. de ces quelques mots pour m'offrir à l'époque ce roman - qui s'écartait en fin de compte totalement du sujet présumé par le titre. L'accroche marketing avait néanmoins fonctionné. Elle en appelait à la fascination éprouvée par de nombreux gays pour le rebeu, pas celui prêt à entreprendre une danse du ventre sur un air de raï mais bien le kem en training ou jeans moulant, au corps mince et sec, à l'attitude virile et au langage abrupt, prêt à improviser un slam à tout moment.
Un désir qui dépasse le physique du personnage pour se focaliser sur son attitude, incarnation d'une masculinité sans faille, relent d’un machisme inhérent à la culture arabe, dans une fascination de cette différentiation culturelle qui produit dans le même temps des tensions en Occident (un sens de l'honneur à préserver à toute épreuve,…).
Une forme de transgression implicite semble également accompagner la tenue d’un tel échange. Il subsiste en effet au sein d'une large frange de nos populations un sentiment de distance irréconciliable avec la population arabe, tant sur le plan de la symbolique culturelle que de son identification à une classe sociale inférieure, plus populaire et non fréquentable, de nature à rendre tout contact (a fortiori sexuel) sulfureux.
Chez certains, un désir entièrement tourné vers cette dualité fait émerger un fantasme sexuel puissant (exploité dans le porno), une fixation ancrée sur l'allure et l'apparat du jeune beur qui se prolonge de manière prévisible dans l'acte sexuel au cours duquel celui-ci s’adjuge de facto le pouvoir – fonction majeure de la dynamique sexuelle entre mecs.
Je dois avouer ne pas rester insensible à ces poussées de virilité manifestées par l’un ou l’autre de ces lascars, cette attitude qui ne veut rien lâcher à une quelconque forme de féminité, apprentissage de longues années d'identification à ses frères de sang.
Cette érotisation relève cependant davantage du fantasme que d'une recherche concrète de satisfaction sexuelle. Le fondement de ce désir comporte en effet également la crainte, le malaise face la rigidité quasi obséquieuse du refoulement de toute sentimentalité. Pour permettre ne serait-ce qu'un seul premier contact, il faudrait que je quitte le costume de garçon bien élevé ou à l'initiative trop déroutante pour endosser le rôle du convoitable, à disposition des envies extérieures. Une sorte de rendez-vous improbable.
Mais puisque cet été m'éjecte de mon profil de dragueur pour me confronter à des propositions déroutantes parfois tentantes, la rencontre avec cet arabe qui m’excite est devenue soudain plus réaliste, comme dans l’épisode parisien exposé en introduction.
Face à cette situation nouvelle, la représentation de mon image aux yeux d’autrui prend soudain une allure bien différente: ainsi j’incarnerais pour eux cette blondasse docile, bottom héroïque des productions pornos américaines. Comme si au travers de mon corps longiligne ou derrière les traits fins de mon visage se dévoilait irrémédiablement le menu-phare de mes pratiques sexuelles. Peut-être faut-il y voir un lien de cause à effet entre cette catégorisation tronquée et l’absence de toute concrétisation, dans ce que je pourrais nommer une (agréable) erreur de casting….