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Mo's blog
2 juillet 2006

Vacances en France (sous un air déjà connu)

Le programme a été concocté il y a quelques mois, à la configuration plutôt familiale : après quelques jours seuls à Cannes (dans l’appart de mes beaux-parents), nous prendrons la direction de leur nouvelle résidence près de Gordes avant de rejoindre Narbonne où mes parents passent leur vacances.

Je me réjouis de me retrouver à Cannes. J’ai fini par m’habituer à ce lieu de villégiature qui ne me correspond guère a priori. Son temps splendide, sa piscine, la proximité de la mer ont effacé toutes mes appréhensions initiales.
A la piscine du domaine, je croise deux transexuelles. Avec L. et moi, un air de Gay Pride semble souffler sur Mandelieu. Elles ont déployé de gros efforts pour atténuer la virilité de leurs traits, surjouant de manière outrancière les atouts propres à l’image de la féminité ultime: des seins surdimensionnés et des lèvres boursouflées au collagène. Un emballage d’ensemble à la réussite peu évidente, qui ne me poserait d’ailleurs pas le moindre problème si la plus matronne des deux ne ressemblait pas au travesti assassin dans « Pulsion » de Brian De Palma (film-culte et à l’effroi toujours vif chez moi). Si nos combats sont liés sur le plan théorique, je me sens dans cette scène de la vie quotidienne tellement éloigné d’elles.

Le soleil me sied parfaitement : le teint hâlé qu’il produit, la chaleur qu’il imprime sur la peau, les pieds le plus souvent dans l’eau. A l’évidence, un tel climat épouse mon idéal. Je m’établirais volontiers en Espagne, m’étais-je déjà dit. Je reviendrais de temps à autre humer la mélancolie des brumes bruxelloises (dont je ne regrette que la longueur). Je ne suis pas pour autant et définitivement un amateur béat du soleil, a fortiori sans la moindre animation. J’observe avec une certaine déprime les nombreuses personnes âgées du domaine (je deviendrais presque complexé de ne pas afficher ici un ventre bedonnant) venues bénéficier à leur retraite d’une place au soleil et de l’illusion de vie sous-jacente, dans l’attente de leur dernier soupir. Je m’étonne du contraste entre cette quête de chaleur, de vie alors que flotte déjà dans leur intérieur la froideur de leur cadavre six pieds sous terre. A moins qu’ils ne succombent à la mode de la crémation, dans une continuité alors tout-à-fait logique.
Mon schéma de vie consisterait plutôt à se rapprocher du soleil dès lors qu’on est jeune pour profiter de la vitalité qu’il dispense et s’en écarter une fois la vieillesse apparue. Comme si le soleil incarnait symboliquement une puissante source de vie dont l’intensité et l’imprégnation devait évoluer en parallèle avec l’énergie de son métabolisme intérieur.

Il est vrai, d’un autre côté, que le soleil me rend désinvolte, pas forcément créatif. Comme un prix à payer pour sa contribution, comme si la lumière d’une idée ne pouvait jaillir d’une réverbération.

Le soleil s’opposerait-il à la réflexion ? J’adhère aisément à cette remarque formulée par un gay local de 40 ans rencontré à la plage. Beaucoup de jeunes de la région apparaissent écervelés, victimes d’une insolation permanente (c’est d’ailleurs le cas des ados un peu partout mais le beau temps s’avère peut-être un élément aggravant). La démonstration de ce propos nous tombera sous la main quelques minutes plus tard. Participant à la conversation, un jeune français d’origine gitane, sourire carnassier, yeux de braise, corps basané et joliment dessiné, nous confie la difficulté de nouer une relation sérieuse de longue durée avec un garçon (selon ses critères, de moins de 25 ans) - notamment celle, actuelle, plutôt bancale avec son mec qu’il ne veut en aucun cas perdre. Il exprime en outre sa désolation devant le manque de fidélité des gays. Ce discours à la conviction forte volera en éclat quelques instants plus tard quand, à notre départ, il nous adressera un très direct : « vous voulez baiser ? ». Idéologie bien ordonnée commence par soi-même, serais-je tenté de paraphraser.

Après 5 jours, nous quittons Cannes pour Cabrières-sur-Avignon. Dans ce dédale de petites routes pentues, j’ai l’impression de débarquer dans le trou du cul du monde. Elles débouchent sur une façade étroite qui ne dévoile en aucune manière la superficie énorme de cette bâtisse vétuste luxueusement rénovée où le père de L. a élu domicile depuis peu. Dans cette forteresse au charme pourtant réel, je m’y considère reclus, tel un ermite. Sa géographie particulière, son absence d’horizon à perte de vue, ses murs épais lui confèrent une protection vis-à-vis de l’extérieur et c’est justement celle-ci, cet isolement, ce calme olympien qui produit en moi une insécurité intrinsèque. Seule une force qui ressemble à de la dignité m’empêche de tomber en sanglots.

Le lendemain, sous une chaleur suffocante, je peine à respirer. L’absence de piscine sous 37° s’assimile à un meurtre. Ce soleil, si central dans la motivation du choix de mes vacances, se transforme en mon pire ennemi. Nous nous rabattons sur la piscine municipale de Cavaillon. La population y oscille entre 12 et 15 ans (déception pour moi qui me réjouissais, avant cette découverte, de l’interdiction de shorts pour me délecter de maillots de bain moulants). J’observe néanmoins attentivement cette jeunesse locale sur laquelle je posais un regard interrogatif et admiratif lors de mes vacances avec mes parents pas si loin d’ici. Cette camaraderie, ces blagues, ce côté léger tantôt dragueur, ces attitudes que j’espérais pouvoir reproduire un jour ne m’ont finalement jamais appartenu (si ce n’est bien plus tard sous une forme différente). Dans ce décor d’une jeunesse adolescente, j’apparais aujourd’hui totalement hors cadre avec mes 32 ans. Il est manifestement trop tard.

Si les images abondent dans la suffocation de certains souvenirs ardents, si je m’abîme dans les profondeurs de mon passé, je glisse également le long des flancs abrupts de mon futur dont une représentation s’impose à mon esprit au travers des vacances ou de la retraite des parents. Je maudis mon incapacité à envisager de changer de vie, à accepter de vieillir. Je persiste à rêver d’une vie en boomerang qui, au moment d’atteindre le stade ultime de la jeunesse, replongerait vers les jeunes années antérieures. Je continue à désirer la chaleur moite des boîtes de nuit, la séduction et le sexe. Je veux posséder ces jeunes garçons, leur corps, leur esprit, leurs pensées, accaparer leurs souvenirs, les miens, m’accrocher à leur jeunesse, mon idéal.

Je me rapproche aujourd’hui du point de rupture dont je perçois l’ombre sur mon corps. Il ne parvient plus à afficher ses fins muscles autrefois si fermes.
Dans cette dégringolade de l’esprit, la déraison ne m’autoriserait que deux options : sauter du deuxième étage ou partir à la recherche d’un jeune corps. Mais il y a des barreaux à mes fenêtres et pas le moindre jeune garçon visible dans la région. Je contiens mon errance mentale mais je commence à craindre la suite des vacances chez mes parents, voire même la visite programmée de Paradou, ce village du juillet de mon adolescence.
Ce soir, je ne parviens toujours pas à pleurer.

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Commentaires
M
Comme j'aimerais vous regarder trinquer en relevant les yeux de ma lecture ... evni
J
J'ai peut-être accepté de "vieillir", entre autres, grâce au contexte de mon couple. Je ne parle pas ici d'un sentiment de sécurité, ni de confort, mais du fait qu'une histoire est naturellement un "mouvement temporel mûrissant". La proximité du conjoint, à un moment, désamorce les angoisses de l'"insuccès".<br /> J'ai peut-être accepté de "vieillir", aussi, parce que très jeune je ne me suis pas embarrassé de critères pour succomber aux charmes du possible camarade comme du possible amant (mais nous en avions déjà débattu).<br /> Je comprends néanmoins cette équation intérieure qui se solutionne en demi-sanglot dignement ravalé. C'est là que je regrette que nos bières ne cognent pas l'une contre l'autre à l'ombre d'une terrasse.
H
Monsieur Morrissey,<br /> <br /> On lit avec plaisir de jolies phrases dans votre récit de vacances :<br /> <br /> "A l’évidence, un tel climat épouse mon idéal."<br /> (Belle allitération : tel, idéal : ces sonorités éclairent votre ciel.)<br /> <br /> "Seule une force qui ressemble à de la dignité m’empêche de tomber en sanglots."<br /> <br /> et en écho :<br /> <br /> "Ce soir, je ne parviens toujours pas à pleurer."<br /> <br /> Caractéristique de la séduction de vos confessions, cette grisaille (comprenez ce terme comme les panneaux extérieurs des anciens retables, peints en noir, en blanc, et avec toutes les nuances - si délicates - du gris) continue de se nourrir du passé, et de décrépitude. Ainsi :<br /> <br /> "Je me rapproche aujourd’hui du point de rupture dont je perçois l’ombre sur mon corps. Il ne parvient plus à afficher ses fins muscles autrefois si fermes." Voilà qui est justement pressenti.<br /> <br /> Pour le surplus, vos vacances sont sans intérêt. <br /> <br /> Concentrez-vous donc sur ce blog et mettez le turbo sur votre entraînement physique. Faites-vous un horaire et respectez-le. Levez-vous tôt. Surveillez votre alimentation. Allez à la découverte de la nature. Ecoutez et observez tant les oiseaux que les insectes. Rendez-vous utile.<br /> <br /> Alors vous serez fier de vous !<br /> <br /> En toute confiance.<br /> <br /> H. M.
H
Monsieur Morrissey,<br /> <br /> On lit avec plaisir de jolies phrases dans votre récit de vacances :<br /> <br /> "A l’évidence, un tel climat épouse mon idéal."<br /> (Belle allitération : tel, idéal : ces sonorités éclairent votre ciel.)<br /> <br /> "Seule une force qui ressemble à de la dignité m’empêche de tomber en sanglots."<br /> <br /> et en écho :<br /> <br /> "Ce soir, je ne parviens toujours pas à pleurer."<br /> <br /> Caractéristique de la séduction de vos confessions, cette grisaille (comprenez ce terme comme les panneaux extérieurs des anciens retables, peints en noir, en blanc, et avec toutes les nuances - si délicates - du gris) continue de se nourrir du passé, et de décrépitude. Ainsi :<br /> <br /> "Je me rapproche aujourd’hui du point de rupture dont je perçois l’ombre sur mon corps. Il ne parvient plus à afficher ses fins muscles autrefois si fermes." Voilà qui est justement pressenti.<br /> <br /> Pour le surplus, vos vacances sont sans intérêt. <br /> <br /> Concentrez-vous donc sur ce blog et mettez le turbo sur votre entraînement physique. Faites-vous un horaire et respectez-le. Levez-vous tôt. Surveillez votre alimentation. Allez à la découverte de la nature. Ecoutez et observez tant les oiseaux que les insectes. Rendez-vous utile.<br /> <br /> Alors vous serez fier de vous !<br /> <br /> En toute confiance.<br /> <br /> H. M.
H
Monsieur Morrissey,<br /> <br /> On lit avec plaisir de jolies phrases dans votre récit de vacances :<br /> <br /> "A l’évidence, un tel climat épouse mon idéal."<br /> (Belle allitération : tel, idéal : ces sonorités éclairent votre ciel.)<br /> <br /> "Seule une force qui ressemble à de la dignité m’empêche de tomber en sanglots."<br /> <br /> et en écho :<br /> <br /> "Ce soir, je ne parviens toujours pas à pleurer."<br /> <br /> Caractéristique de la séduction de vos confessions, cette grisaille (comprenez ce terme comme les panneaux extérieurs des anciens retables, peints en noir, en blanc, et avec toutes les nuances - si délicates - du gris) continue de se nourrir du passé, et de décrépitude. Ainsi :<br /> <br /> "Je me rapproche aujourd’hui du point de rupture dont je perçois l’ombre sur mon corps. Il ne parvient plus à afficher ses fins muscles autrefois si fermes." Voilà qui est justement pressenti.<br /> <br /> Pour le surplus, vos vacances sont sans intérêt. <br /> <br /> Concentrez-vous donc sur ce blog et mettez le turbo sur votre entraînement physique. Faites-vous un horaire et respectez-le. Levez-vous tôt. Surveillez votre alimentation. Allez à la découverte de la nature. Ecoutez et observez tant les oiseaux que les insectes. Rendez-vous utile.<br /> <br /> Alors vous serez fier de vous !<br /> <br /> En toute confiance.<br /> <br /> H. M.
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