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14 mai 2006

Nezz (3/4)

Le week-end suivant, l’atmosphère de félicité semble nous avoir abandonné.
Le progressif désintéressement de L. vis-à-vis de cette relation en surligné pèse sans doute sur mon jugement. Une crainte a dû faire jour au fonds de lui devant le sentiment conscient ou non de la rivalité représentée par Nezz, cet être qui m’offre ce que lui n’est pas en mesurer de me fournir. Je le constate plus distant à son contact, moins impliqué. Il a mûri cet éloignement et m’adresse de biais un message d’irrévocabilité.

Si je m’accroche encore aux petits gestes comme le prendre dans mes bras, le laisser se tapir sous mes aisselles comme un chaton insécurisé, un premier signal d’un retournement de tendance retentit dans le relatif silence des râles. La magie quitte peu à peu le sexe, aussi bien exécuté fut-il. L’étape ultime de notre fusion corporelle est restée à quai. Je pourrais approcher au plus profond l’intensité de son désir, remuer ses tripes, imprégner leur vibration sur toute la surface de son corps, alimenter et maîtriser sa jouissance avant de la faire exploser. Pénétrer un univers qui appellerait d’autres visites vu la relative brièveté du passage. Je ne le peux pas, il est encore trop tôt. En imposant une limite à nos échanges charnels, j’ôte à notre relation une potentielle addiction des plus puissantes.

Ces revers m’incitent à accélérer la prise de conscience de l’essentiel. Le poids des années permet de reconnaître, mieux qu’à 18 ans, que l’affection mobilisée ne mutera pas en Amour et ses majuscules, cette somme de moments vécus ensemble qui créent une tension, une présence, un lien insécable de l’ordre de celui créé au fil des années avec L. et auquel Nezz ne peut se substituer ni aujourd’hui, ni demain (ne serait-ce que par le chemin vers la maturité lui restant à accomplir).

J’ébauche déjà une recomposition indispensable de la relation nous unissant : une amitié tendre, traversée d’un paternalisme bon teint. La figure de tuteur que je me suis assignée par le truchement de nos destins m’impose à ce titre devoir et responsabilité. La recherche du plaisir propre s’efface au profit de celui de Nezz. Son dévouement, son abandon immédiat n‘exigeait pas en soi une telle réciprocité mais la beauté de cet investissement suscite en moi une quête d’altérité à la grâce supérieure.
Nezz peut rejouer mon destin en offrant, conjointement, par sa personne, l’image du petit frère que je n’ai jamais eu, voire le fils que je n’aurai sans doute jamais. Je l’interprète comme un cadeau précieux dans la mesure où il détourne mon attention de mes problèmes pour m’entraîner dans une tâche altruiste : j’entrebâille à son attention une porte de la vie derrière laquelle l’attend, je l’espère, une liberté d’être, d’aimer, de se sentir fier de soi et de son existence. Une responsabilité énorme accrue par le sentiment d’une mission symboliquement décisive pour l’ensemble des jeunes gays cherchant à s’affirmer et à trouver leur place au sein de la société (ne faut-il pas rappeler un taux de prévalence du suicide 10 fois plus élevé au sein de la population des jeunes homosexuels ?). Essence même de la lutte associative de terrain, chaque combat individuel renvoie implicitement à une dimension collective.

L’empreinte cutanée que je veux imprimer à cette histoire passe assurément par cette transformation en marche dans ma tête. Il me devient d’ailleurs plus difficile d’envisager le sexe avec lui, une forme d’interdit incestueux a pris le dessus. Il semble de son côté y attribuer une dimension primordiale et je ne sais comment lui expliquer.

Le programme de deux week-ends suivants va nous éloigner de lui. Je réalise que ce break imposé contribuera à l’élaboration de bilans. Des sentiments divers vont fermenter et nul ne peut imaginer la manière dont ils s’exprimeront lors de nos retrouvailles. Je m’attends à le revoir à ma soirée d’anniversaire, lors de laquelle je compte le présenter à mes amis, l’intégrer dans mon monde et concrétiser la mutation que je souhaite impulser à notre histoire.

Il ne viendra pas. Malgré les excuses quelconques formulées par mail, je suis déçu de cette absence. L’esprit préoccupé par d’autres idées, je ne devine pas l’existence d’une raison plus profonde, prête à éclater une semaine plus tard.

Après un silence d’une semaine, Nezz se connecte sur le net. Il ne tarde pas à me dévoiler l’objet de son éloignement récent. Les mots n’étonnent sans doute que des protagonistes trop engagés et aveuglés par leur naïveté mais ils me touchent et désorientent la configuration de mes pensées.

Il m’explique qu’il n’en peut plus : il est tombé amoureux de nous deux. Durant notre séparation, notre image lui revenait sans cesse, sculptée dans des rêves qui se prolongeaient une fois éveillé. Cet amour, celui qu’il a cherché à donner, à recevoir depuis tant de mois, d’années s’est transformé en pire cauchemar, celui d’un but inaccessible, d’une histoire vouée à sa perte, d’une place impossible à trouver au milieu de nous. Il vit désormais un enfer, découvre la réalité de la déception amoureuse face à laquelle le silence et l’éloignement deviennent les seules solutions.

L. qui découvre les mots sur l’écran appuie une main ferme sur mon épaule en signe de soutien. Je ne veux pas le perdre ainsi. Je tente de convaincre Nezz d’une rencontre dans un lieu moins signifiant pour l’aider à transformer ses sentiments. Ma requête désespérée n’est qu’une bouée jetée au hasard dans l’étendue d’un océan. 

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Commentaires
M
On ne sait jamais quand arrive le DERNIER, le mieux est de ne jamais cesser d'aimer sans penser à sa propre souffrance.<br /> Je ne saurai jamais ce que ressentent les garçons dans leur corps, c'est comme le mystère de l'enfantement ... impossible à partager.
B
"Peut-être ton dernier amour sera-t-il le plus romanesque et le plus jeune. mais ton coeur, mais ton bon coeur, ne le tue pas je t'en prie. Qu'il mette tout entier ou en partie les amours de ta vie, mais qu'il y joue toujours son rôle noble, afin qu'un jour tu puisses regarder en arrière et dire comme moi "J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui" ".
P
Moi aussi je nique les minets pour leur bien et dans l'intérêt d'une bonne éducation. Miam.
H
C'est assez déchirant, tout doux, et puis rassurant de voir le coeur à l'ouvrage, même quand il souffre. Bon, je pourrais citer le "Du sperme et des larmes, avec la même intensité."<br /> ;-) mais ça serait bien court ici. Et toujours, tu conserves cette loyauté, de beaux principes qui marchent côte à côte, main dans la main avec ces frémissements complexes, déroutants.
M
"Ce que l'on veut, ce qu'on ne veut pas ..<br /> l'estime de soi, le regard des autres..<br /> Au delà de l'interdit les concessions pour un amour vrai. On ne le choisit pas et il est nécessaire d'en tirer des enseignements.<br /> Pourquoi ce mot si fort recouvre t-il tant de sentiments contradictoires ? l'absolue nécessité de donner un sens à la vie même et où trouver l'énergie nécessaire pour dépasser le chagrin quand cette énergie-là est courroie de transmission, quand la séparation inexorable n'est pas une déception, juste un abandon raisonné ?
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