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4 septembre 2005

Dîner de famille (part 2)

Dimanche. Le Jour J est arrivé. Celui d’une renaissance au sein d’un tableau familial dans lequel mes traits figuraient en pointillé depuis quelques temps. En l’espace d’une après-midi, 8 ans d’indifférence s’effaceront dans les mirages de l’apparence que, sans rancune, je cautionnerai. Ma participation se justifie déjà par le retour d’une certaine convenance familiale mais répond surtout à cet objectif d’ordre « politique » que je me suis fixé. Quelle que soit leur opinion sur mon orientation sexuelle, ma présence, ma personnalité, mon attitude s’imposeront à eux. Ils ne pourront ignorer dans leur chair, leur esprit (conscient ou non) cette rencontre, ni le caractère résolument humain, « normal » (pour utiliser leur vocabulaire) qui s’en dégagera. Je n’attends rien de ce dîner. Ni le positif, ni le négatif. Je sais juste qu’il doit avoir lieu.

En imaginant les visages qui me scruteront au premier coup d’œil, je m’interroge quant à l’impact de l’épreuve du temps sur le physique des membres de la famille. Je pense aussi à l’ambiance des dîners d’autrefois qui demeurera sans doute au rang des souvenirs, tant d’événements s’étant déroulé depuis. La seule certitude est l’absence de rôle à jouer dans ce théâtre vivant. Je réapparais, 8 ans plus tard, l’esprit libre, tel un homme neuf. Tout ce temps me dédouane d’une obligation quelconque.

Si j’appréhendais quelque peu les premiers moments de ces « retrouvailles », le destin a voulu me faciliter la tâche. Le marathon de Bruxelles bloque en ce dimanche une grande partie de la ville, nous obligeant à des détours imprévus. Nous arrivons, L. et moi, avec plus d’une heure de retard à la maison de mon oncle. Ce contretemps nous préservera des regards gênés et interrogateurs lors de l’apéritif.

Je suis accueilli par ma filleule et son petit frère, suivi par Dominique et ses enfants. Ces visages amicaux distillent instantanément un baume bienvenu avant que je ne poursuive, plus léger, le tour des salutations. La courtoisie est de rigueur lors de ces premiers échanges. Sans plus. Seule ma marraine Gabrielle m’offre une accolade prolongée, heureuse visiblement de me revoir. Parmi toute l’assemblée adulte, elle est indéniablement celle dont la transformation physique est la plus perceptible. Son vieillissement manifeste ne m’étonne cependant pas, eu égard aux souffrances endurées ces dernières années (problèmes de santé, séparation avec Max). Brusquement, la ressemblance avec Françoise Sagan m’apparaît au grand jour. Ce petit corps menu, ce visage creusé par des sillons suggérant les drames d’une vie, la voix rocailleuse façonnée par un usage immodéré de tabac. La surprise réside à vrai dire surtout dans son évolution comportementale. Son côté réservé et inquiet semble avoir cédé la place à un esprit rêveur plus baba-cool, doté d’un enthousiasme et d’une liberté apparemment salvatrice. Comme si les mauvais coups subis (notamment son divorce) lui avaient permis de sortir de l’ombre, d’extraire sa vraie nature tapie longtemps durant derrière un mur intérieur indestructible. J’ai parfois du mal à comprendre que certaines philosophies personnelles puissent s’incarner au travers de daubes telles que « savoir aimer » de Florent Pagny mais j’en accepte le résultat : dédier son existence au bonheur de ses proches (surtout ses petits-enfants) paraît indubitablement lui réussir.
Je l’observe en train d’allumer une clope à l’abri du regard de ses proches (fumer lui est interdit en raison d’une carotide bouchée) pendant qu’elle me confie son bonheur de me voir épanoui dans la voie que je me suis tracée. Il est remarquable de constater que ceux qui disposent d’une certaine d’ouverture d’esprit dans un univers qui tend à en manquer ont besoin d’affirmer de but en blanc leur soutien. Mon orientation sexuelle est désormais inscrite en moi de manière si naturelle que la démarche m’apparaît sur le moment un rien lourdingue. J’imagine pouvoir parler de vraie normalisation lorsque ma vie de couple sera abordée avec indifférence quant au sexe de mon conjoint. Cette initiative a toutefois et incontestablement le mérite d’exister, les autres membres de la famille feignant d’ignorer ma vie privée tout au long de la journée.

Le repas se déroule dans une ambiance calme et sereine. Point de Max, le polémiste-né, pour oser une incursion dans des discussions politiques ou tout autre sujet propice au débat. Le choix d’un cadre domestique ainsi que la présence de nombreux jeunes enfants jouent sans doute aussi un rôle prépondérant dans cette atmosphère légère mais un brin morne. Le reste de l’après-midi est consacré au sport sous un soleil bienvenu en cette fin d’été maussade. Pendant plus de deux heures, nous nous dépensons sans compter lors d’un match de foot (quel bonheur personnel de rejouer un sport « ballon », je maudis cette génération trentenaire dont l’imagination se limite le plus souvent au fitness et au « spinning »), tentant de suivre le rythme imposé par le fils de ma cousine Béatrice Stef. Avec sa sœur aînée So, ils forment d’ailleurs un bien joli duo. Elle, 16 ans, jolie jeune fille de 1m75 dont les yeux verts insaisissables et romantiques font irrésistiblement tourner la tête aux garçons de son âge (réalité dont elle doit être consciente). Moins élancé que sa soeur, Stef présente déjà un beau gabarit pour son jeune âge (14 ans). Un profil de footballeur italien (origine paternelle oblige) avec de magnifiques grands yeux bleus qui ressortent avec éclat d’un visage que traversent des cheveux en bataille aux extrémités légèrement bouclées. Un photogénique mélange entre le modèle skater et une pub Tommy Hilfiger jeune. Sa timidité typiquement adolescente laisse échapper de temps à autre un sourire contenu, censé cacher un de ces appareils dentaires cauchemardesques comme pour bien des garçons et des filles de son âge.

Le dîner de famille s’achève finalement sur une sensation globalement agréable. Sans doute, quelques années plus tôt, aurais-je ressenti un certain malaise dans la confrontation avec ces regards empreints de questions et de préjugés, qui auraient alimenté des doutes quant à ma propre acceptation. L’indifférence qui gouverne désormais mes pensées à ce sujet me rend incontestablement plus fort. J’ai bien constaté la froideur et la gêne de Nora (la femme de mon oncle), la distance maintenue par Henri (mari de ma cousine Béa) lui qui me charriait volontiers à l’époque (a-t-il peur pour son fils ?). Pour le reste, la courtoisie de façade a fonctionné à plein. Je n’ai rencontré que sourires et mots polis. Cette sympathie n’a toutefois pas effacé un arrière-goût un peu amer devant la tiédeur générale affichée à l’égard de L. (qui ne s’est pas privé d’en faire de même de son côté). Sans doute incarne-t-il la matérialisation concrète d’une sexualité qu’il faut mettre à distance. Une frontière indépassable visiblement. A l’image de ces mots adressés par Gabrielle à son petit-fils, me concernant : « il n’est pas venu les autres années car il était en vacances »…

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