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4 mars 2005

A propos de l’interdiction du tabac dans les bars et restaurants

Voilà le nouveau sujet d’actualité qui agite le landernau politique belge et sans doute européen sous peu. Avec un regard tourné vers le Québec ou l’Irlande et l’Italie, premiers pays européens appliquant une telle législation.

Pour appuyer cette proposition, la notion de santé publique est évoquée comme argument indéboulonnable, justificatif de tout. A l’heure où ce domaine est irradié par la question écologique (souvent avec à-propos quand il s’agit de relever le danger lié à la production et la distribution de biens alimentaires,…), il est manifeste que la tendance actuelle consiste à atteindre non plus seulement un processus économique mais bien l’individu (j’y reviens).

Au delà de cette question de santé publique, on avance déjà bien d’autres arguments (d’ailleurs parfois utilisés comme raison principale) tels que « je ne veux pas manger un steak parfumé au tabac». Preuve que la gêne provoquée par la fumée alimente la polémique autant voire davantage que les raisons de santé. Au nom de ce type d’inconvénient, quelle sera la proposition suivante? Interdire l’alcool dont les effluves peuvent parcourir la pièce ou la transpiration qui indispose légitimement les voisins?

Pour contrer les arguments économiques relevés par les établissements concernés (chute du CA), les partisans d’une telle loi argumente aussi sur le fait que l’ennui causé par la cigarette (fumée, danger de tabagisme passif) ferait fuir un certain type de clientèle des bars ou restaurants. Mais jusqu’où ira-t-on ? Puisque la problématique n’est pas purement de santé publique, n’ira-t-on pas demain jusqu’à interdire la voiture pour permettre à cette clientèle de ne pas subir les effets nocifs de la pollution automobile à la sortie de ces endroits?
Il ne s’agit pas de rentrer dans un débat écologique, ou de nier l’importance de mener une politique de développement durable mais un certain rapprochement existe entre ce type de mesure et des idées circulant sur les méfaits de la voiture. La volonté d’agir de façon unilatérale, de culpabiliser l’usager a parfois tendance à prendre le pas sur des mesures visant à inciter des comportements, notamment par des politiques fiscales d’encouragement ou découragement (qui sont de vraies mesures politiques dans les sociétés libérales dans lesquelles nous vivons).

La vraie question de fonds est de savoir dans quelles conditions, dans quel type de société nous voulons vivre à l’avenir. Car derrière cette problématique se manifeste une tendance croissante et lancinante de nos sociétés : d’une part l’idée que le comportement individuel est potentiellement dangereux pour autrui (la critique de l’individualisme ambiant de nos sociétés a donc eu tendance à générer des réponses non tant sous un angle global qu’individuel : ont été visés ces dernières années tour à tour le fumeur (et par extension le « drogué », le buveur), celui qui a une relation sexuelle et le conducteur automobile) et d’autre part, sous-tendue à la première, l’idée de la recherche d’un risque zéro.

Le risque zéro aujourd’hui, c’est s’imaginer l’impossibilité qu’un problème puisse survenir lors de l’accouchement (ou même dans toute opération) au nom de la prétendue maîtrise scientifique totale ; chercher forcément le responsable (bouc-émissaire) lorsque des phénomènes naturels imprévus ou difficilement prévisibles surviennent ; adopter un régime alimentaire restrictif au nom de tel ou tel danger pour la santé.

Cette pratique du risque zéro pourrait trouver son prolongement dans des idées politiques : fermer ses frontières pour se prémunir d’une attaque terroriste ou d’une invasion de réfugiés ; interdire aux couples gays d’adopter sur base de l’idée qu’un enfant ne peut trouver un équilibre psychologique qu’avec un père et une mère ; réclamer des peines incompressibles pour les criminels sexuels alors que 90% ne sont pas récidivistes ; arrêter les clochards, au nom d’un potentiel désordre public ; créer des quartiers ghettos (comme aux USA) où les riches peuvent se protéger du peuple violent, pervers et profane (autrement dit se prémunir contre les manifestations de l’inégalité sociale).

Le prolongement peut aussi se situer dans la paranoïa individuelle : la vie sous masque à gaz de Michaël Jackson, rester chez soi pour ne pas chopper la dernière grippe ; ne pas prendre l’autoroute pour éviter les chauffards qui roulent à contre-sens.

En soi, certains choix de risque zéro sont personnels et respectables (même si on peut ne pas les partager). Mais lorsqu’ils entrent en concurrence avec d’autres intérêts, celui du comportement individuel d’autrui, la question de fonds doit être posée et le point de vue de risque zéro sous-pesé. Au nom de la protection de l’individu, jusqu’où va-t-on restreindre la liberté d’autres individus ?
La cigarette peut être vu comme un symptôme du stress de nos sociétés contemporaines. S’attaquer au problème de la cigarette, n’est-ce pas avant tout agir sur sa prévention et sur les facteurs qui incitent à sa consommation ? Tout en laissant à chacun le droit d’apporter sa propre réponse. Je ne vois rien à reprocher à certains qui ont préféré une vie plus courte mais intense à une vie longue mais ennuyeuse.

La question qui nous occupe génère à mon sens un double danger :

1. En rendant délictueux l’usage de la cigarette dans un lieu public comme un bar ou restaurant, on amène progressivement la population à assimiler tout usage reconnu mauvais pour la santé comme une infirmité sociale. Le risque est de ne plus tolérer l’usage de la cigarette ou de tout autre « danger pour la santé » tout court. Une fois ce regard grave posé sur le fumeur (ou le buveur, le sex-addict), la question ne va-t-elle pas se porter sur son exclusion sociale ? Notamment en retirant de la protection de la sécurité sociale, le fumeur qui a un cancer de la gorge, le buveur régulier qui a un cancer du foie, l’homosexuel qui a attrapé le sida…
2. Si on veut régenter la vie privée pour satisfaire les partisans du risque zéro, ne va-t-on pas progressivement créer une société de plus en plus aseptisée ? Avec le retour d’une certaine prohibition : dans la lignée de la lutte contre la cigarette, le pétard, ne va-t-on pas interdire l’alcool puisqu’il est à la base d’accidents de voiture le week-end ou qu’il crée de la violence conjugale ? Fermer à l’avenir les saunas et darks rooms aux séropositifs (voire à tous) car le sida est susceptible de s’y propager ? Le vrai risque est donc qu’il s’agisse d’un premier pas vers d’autres mesures se basant sur cette notion vague d’externalité négative.

Si une demande existe, il est toujours possible à des initiatives privées de créer des bars sans cigarettes. Et rien n’empêche qu’on applique avec plus de suivi qu’aujourd’hui une séparation entre les coins fumeurs et non-fumeurs dans les restos.
Mais laissons aux individus l’occasion d’allumer une clope dans des endroits de détente que sont les bars et restos dans lesquels nous ne passons qu’un moment finalement relativement court de notre quotidien et au sein desquels l’individu vient chercher un peu de joie, de réconfort, de détente et se laisser aller loin du stress de la vie quotidienne.

Signé : un non-fumeur que la fumée dérange parfois…

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