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Mo's blog
29 décembre 2004

Un bilan 2004

Ecrire pour se rappeler de doux moments. Pour s’interroger. Pour commémorer. Pour oublier…
Tout lâcher rapidement pour en finir au plus vite avec cette douleur toujours vivace. A moins que du contraire : imiter Sophie Calle qui, à force de réécrire la même histoire, celle de sa rupture, en a progressivement fait le deuil. En revenant inlassablement sur l’événement, en le réécrivant, la pression se fait moins lourde, le ventre moins noué que lors du premier jet. Je ne peux aller jusqu’au bout de cette démarche. Le temps presse. 2005 arrive à grand pas. Tout doit être liquidé…

Novembre 2003. Un garçon sexy. Des caresses, des étreintes. Du sang séché sur une main. Le flash de cette image ne me revient que plus tard. Une fois le désir retombé. La peur le remplace. Sang-sida. Sang-sida. Sang-sida. Association fatale. Mon copain est serein : aucune de prise de risque particulière. Trop tard, la machine est lancée.
Sans trop le savoir, j’ai initié depuis quelques temps un type de raisonnement qui me poursuit pour le moindre petit problème de santé : ce que j’appelle la « cascade des risques ». En gros, dans ce cas-ci, une transmission du virus ne pourra se produire que si un risque suffisamment important a été pris avec quelqu’un d’infecté et dont la charge virale est élevée. Cette technique personnelle censée dissiper mes doutes, épuiser mes interrogations s’est avérée fructueuse par le passé mais cette fois, l’apaisement se révèle momentané. Peux-être ce garçon demeure trop énigmatique à mes yeux, le sexe plus « rough » que d'habitude. Pendant plusieurs semaines, une épée de Damoclès plane au-dessus de moi, plombant mon bien-être. Le stress irradie insidieusement les cellules de mon corps.
Je dois attendre le mois de février pour réaliser le test et me rassurer du résultat. Je ne suis soulagé que quelques jours. Après 3 mois de tension souterraine, mon corps en subit les premiers contrecoups. Le relâchement consécutif à cette heureuse annonce s’accompagne de manifestations tangibles de stress, que j’avais pu éluder pendant les 3 mois d’incertitude. Elles se concentrent sur un zone sensible, mes intestins. Je double ma dose quotidienne de médicaments.
10 jours plus tard, nous sommes le samedi 21 février. Je me réveille avec des nausées. J’écarte rapidement l’hypothèse d’une indigestion occasionnée lors du dîner de la veille. Un excellent restaurant indien où nous avons fêté la Saint-Valentin. J’imagine qu’il s’agit à nouveau de ces problèmes intestinaux qui me poursuivent depuis quelques jours. Le frigo est vide, je tarde à manger. Il m’arrive parfois de ressentir ce genre d’indisposition lorsque j’ai le ventre vide. Je me rends en ville, mange un sandwich à l’américain et rentre rapidement me reposer en prévision de la soirée d’anniversaire d’un ami.
Une heure de sieste. Il est 18 heures. Je me réveille soudainement. Nausées plus fortes que jamais. Je vomis. Pendant les trois heures qui suivent, je tente de retrouver une digestion normale. En vain. Je n’ai jamais connu cela. J’entends à la radio la démonstration de mon équipe de foot favorite qui réalise son meilleur score de l’année mais mes pensées sont ailleurs. Alors que mes amis commencer à fêter l’anniversaire de Jay, je me résous à me rendre à l’hôpital.
Les médecins m’interrogent sur mes antécédents, redoutent un problème gastrique (retour d’un ulcère ?) ou je ne sais quelle maladie, n’abordent même pas en ma présence la possibilité d’un virus, pourtant assez courant à cette période. L. m’a accompagné. Il me tient de temps en temps la main mais le simple contact avec un corps étranger provoque en moi de nouveaux hauts-le-coeur.
Je passe une radiographie. La sensation de mon dos contre la paroi froide de la machine suffit à réveiller les nausées. Juste le temps de prendre un cliché, je tombe à terre. L’infirmier me tend un sachet. Il me regarde sans état d’âme. La situation est pathétique, je m’en rends compte. Je me sens humilié par son silence et son indifférence. Je finis par me redresser pour rejoindre une chaise. Des douleurs intenses parcourent mon dos. Les efforts répétés pour expulser hors de mon corps les éléments indésirables ont mobilisé mes muscles dorsaux de manière inhabituelle et violente. Les anti-vomitifs administrés restant sans effet, le médecin me conseille de rester la nuit à l’hôpital. J’accepte. C’est une erreur.
On me conduit vers une chambre double. Mon compagnon d’une nuit vient d’être opéré. La cinquantaine. Il ne parle pas français, juste quelque mots de mauvais anglais. Ma montre indique 1 heure mais la télé fonctionne toujours et la lumière est restée allumée. L’infirmière m’apprend que mon voisin ne veut pas s’endormir, de peur de s’étouffer.
Malgré un Xanax, je ne parviens pas trouver le sommeil. Les douleurs au dos restent difficilement supportables et mes intestins continuent à travailler. J’entends les petits gémissements de dépit de mon voisin lors de chacune de ses tentatives avortées de rejoindre les bras de Morphée.
Mon mal-être, le sien, me plongent dans un état d’empathie généralisée vis-à-vis de la souffrance. La douleur extrême (et inconnue jusqu’alors) m’impose des images refoulées : je me découvre soudain vieux et/ou malade, perclus dans un lit; j’appréhende concrètement le sort de ces personnes obligées d’endurer quotidiennement une souffrance et pour qui l’espoir d’un mieux n’existe pas.
Je dors deux petites heures. J’appelle L. à la maison. Je lui demande de prendre quelques vêtements. Le médecin qui doit venir m’ausculter tarde à me rendre visite. L’impatience, une seconde nature, s’empare de moi. L. arrive enfin. Je décide de partir au plus vite de l’hôpital sous peine de craquer. Je signe une décharge. Nous retournons à la maison.
Je reste patraque. Ma gorge est en feu. Je crains la gastroscopie du lendemain. Je me souviens de la crise d’hyperventilation de la dernière fois. Je me sens las. Le soir, je regarde un reportage télévisé sur la dépression en banlieue. Mon esprit est à nouveau assailli par de sombres pensées. L’existence ne m’apparaît plus que sous le jour (ou la nuit ?) d’histoires tragiques et sans espoir. J’universalise mon mal et partage celui des autres. Le néant prend possession de mon mental. J’éclate en sanglots.

Le lundi, après une gastroscopie au déroulement plutôt réussi et aux résultats rassurants, le diagnostic du rota-virus est enfin posé. Le médecin m’octroie la semaine de congé pour me « retaper ». Je suis soulagé, je vais pouvoir me reposer et me reconstituer physiquement et psychologiquement. Ma tendance spasmophile en décide autrement: lorsqu’un problème se déclenche, il en entraîne d’autres (jusqu’alors en veille) dans la foulée.
Au fil des jours, je me sens toujours aussi fatigué. Je m’inquiète de cette persistance. Je consulte quelques sites sur internet. J’y découvre le syndrôme de fatigue chronique. Un lien avec la méthode de respiration est évoqué. Je me mets en tête qu’il s’agit là de la solution à mon problème de fatigue. Les tentatives de contrôle de ma respiration se révèlent une catastrophe : elles déclenchent au contraire de l’hyperventilation. Celle-ci s’installe de manière chronique.
Bien que de nouvelles analyses sanguines attestent de la disparition du virus, la fatigue persiste. J’obtiens une semaine de congé maladie supplémentaire de la part de mon médecin.
Le temps n’est cependant pas un allié : il est à peine 20 heures que mes yeux se ferment naturellement. L’énergie semble m’avoir abandonné. Des maux de tête localisés sur la sphère droite de mon crâne apparaissent. Un léger voile cotonneux couvre la vue de mon œil droit. Chaque jour, je ne peux m’empêcher de tomber en larmes. Je ne maîtrise plus rien dans ma vie. Pour la première fois, j’éprouve de la nostalgie. L’image du dîner en tête-à-tête du 20 février me revient. Ces instants banals d’un bonheur qui appartient désormais au passé.
La fin de semaine approche. Mon médecin se dit prêt à me fournir un nouveau certificat. Je me sens perdu. Je culpabilise. Les portes que je tente de pousser indiquent le même message : « sans issue ».
Le week-end, je tente un effort sur moi-même pour envisager l’inimaginable : reprendre le travail malgré mon état psychologique fébrile. Après deux jours de conditionnement, je reprends le chemin de mon travail le lundi. J’ai mal à la tête, qui semble pourtant vide. Je me concentre sur mes tâches. Je reste distant de mes collègues : je ne peux assumer en même temps la moindre relation sociale. Sans surprise, les premiers jours sont difficiles mais le pas est franchi. Quelque peu ragaillardi, je tente de reprendre le contrôle de mon existence : je consulte un spécialiste de la respiration pour mon hyperventilation, un osthéopathe pour mes douleurs dorsales et crâniennes, un hypnothérapeute pour maîtriser mon stress ainsi qu’un psy.
Je me fixe la limite de fin mai pour recouvrer une santé appréciable, date prévue pour un city-trip à Londres avec sorties en club au programme. Je crains de ne pas y parvenir à temps. La fatigue demeure présente.
Pendant cette période de reconstruction, quelques éclairs de bonheur surgissent de nulle part : Nez et Dési. Pour supporter en ma compagnie cette période sensible, L. dont la patience inattendue m’étonne (la déprime étant rayée de son vocabulaire ordinaire), invite régulièrement des amis à la maison. Parmi ceux-ci, je fais la connaissance de Dési, une de ses collègues de travail, sicilienne et célibataire. Rapidement nous nous trouvons des points communs pour la musique, le cinéma ou la photo. Deux à trois fois par semaine, elle se rend chez nous pour manger, discuter, écouter de la musique. « Suspicious minds » d’Elvis Presley devient notre chanson-fétiche. Je suis surpris et touché de l’intérêt réel qu’elle me porte. Sa présence dans ces moments difficiles a indéniablement contribué à mon retour en forme (et notamment à ne pas manquer le rendez-vous de Londres). Sa disponibilité et son altruisme, associés à sa profondeur d’esprit ont scellé en quelques semaines une amitié indéfectible.

Si des tracas (problème de somnanbulisme, de dos, de tendinite,…) ont encore émaillé le second semestre de l’année - on ne sort pas entièrement indemne de ce genre d’expérience, j’ai pu les affronter avec davantage de sérénité. Et je veux profiter de cette frontière du temps pour construire une barrière psychologique. Oublier 2004 et espérer 2005. Se sentir mieux pour penser aux autres. Se préoccuper des autres pour oublier ses petits problèmes.
Finalement il n’y a rien de mal fait…

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